Du Chaperon rouge à Laura Palmer, un petit malentendu
« Laura est une American sweetheart au visage de poupée, joues rondes et frange blonde, dont on découvre peu à peu qu’elle file un mauvais coton depuis qu’elle est devenue accro à la cocaïne, trompe son beau gosse officiel et même, comble de l’étrangeté, fréquente de sordides bars où elle se prostitue sans motif apparent. Ne vois-tu rien venir, cher lecteur ? Pourquoi Laura s’est-elle mise à faire la pute, littéralement, elle qui jouit d’une popularité sans ombrage et vit dans un pavillon cossu d’une banlieue cossue où les ados possèdent des Harley ? [...] Quelque chose ne va pas. En ouvrant son journal intime, Laura découvre, horrifiée, que des pages ont été arrachées. [...] On apprend que cette intrusion dans son intimité est l’œuvre d’un certain Bob, entité démoniaque issue d’une réalité parallèle, qui, depuis qu’elle a douze ans, rôde dans sa chambre et la moleste quand vient la nuit. C’est donc l’ancien technicien devenu acteur qui joue Bob, lui qui ressemble trait pour trait au Cronos de Goya. L’affaire se corse lorsque Bob prend possession de Leland, le père de Laura, joué par un acteur au physique pourtant bien différent. Le respectable pater familias assombrit son regard, est à la maison quand on ne s’y attend pas, sévit quand Laura se met à table sans avoir lavé des filthy hands et, de scène en scène, son visage se confond avec celui de Bob – soudain, c’est le père qui apparaît sous les draps. » Lucile Novat, De grandes dents, Enquête sur un petit malentendu, La Découverte, "Zones", 2024. [Lucile Novat enseigne les lettres à des collégiens de Seine-Saint-Denis. Son travail littéraire est imprégné de tératologie, de pop culture et d’une petite envie de révolution. (L’éditeur)]
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En haut: Frank Silva (1950-1995), aka Bob
Ci-dessous: Saturno [Cronos]devorando a un hijo, Francisco de Goya, 1819.