Dérèglements

Bruxelles, 10 juin 2008. A 7h00 ce matin, les habitants de Schaerbeek, incrédules, ont sorti les calculettes. Depuis dimanche, 17h34, il n'a pas plu sur cette commune populaire du nord-est de la capitale. Soit 1 jour, 13 heures et 26 minutes ou 2246 minutes sans flaques d'eau, sans trottoirs casse-gueule, sans parapluies, sans pantalons mouillés au cinéma, sans lunettes opacifiées par la drache (cette humide spécialité du Nord sur laquelle les météorologues s'interrogent en vain).

Les réactions ne se sont pas fait attendre, et la vie a réapparu dans les quartiers de la ville. Les enfants ont sorti les ballons et improvisent des matches amicaux dans les ruelles, les femmes dansent sur les toits, les nouveaux-nés abandonnés à eux-mêmes hurlent dans les jardinets, les hommes se rassemblent sur les trottoirs, pérorent avec force grands gestes, avant de se diriger vers les nombreux cafés de la chaussée de Haecht dont les loufiats assemblent les terrasses à la hâte.

Entendu un peu après 7h20, de la bouche d'un petit garçon: "C'est comme en mai 68, papa ?" Un peu plus loin, attroupement devant un vidéo-club, un barbu à lunettes s'avance: "Jean-Claude a eu bien raison de rentrer à Schaerbeek, il nous ramène le beau temps." Une jeune blonde à l'accent nantais, clope au bec et le dernier Vaneigem sous le bras, accompagnée d'une fillette brune à souliers violets: "Et si on en profitait pour ne pas aller bosser ?"

Les pouvoirs publics ne partagent par l'exaltation populaire. Un comité interministériel de crise s'est réuni ce matin à 8h00 pour étudier l'hypothèse, que l'on prend très au sérieux rue de la Loi, d'une menace terroriste liée à ces incompréhensibles dérèglements.

Et pendant ce temps-là, Fillon extrade Marina Petrella. Vous allez le laisser faire ?

Raoul Vaneigem, Entre le deuil du monde et la joie de vivre, Gallimard, "Verticales-phase deux", 224 p., 16 €.