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le vieux monde qui n'en finit pas
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10 juin 2008

Justice et les singes de 2001

Alors que l'opinion et la presse se déchaînent depuis plusieurs semaines contre le groupe Justice, leur compagnie de production Kourtrajmé et Romain Gavras, réalisateur de Stress, on apprend que le MRAP a porté l'affaire devant la justice, précisément. L'indispensable Chris Marker s'est fendu d'un petit texte magnifique, un coup de sang comme on les aime, qui révèle que ce jeune créateur de 87 ans a une sacrée santé et une fichue lucidité. Le réalisateur de La Jetée veut parler d'écriture cinématographique là où beaucoup ne voient que le résultat (la violence des images) et appellent à la censure, et il avance que lorsque les bourgeois sont choqués, la poésie n'est jamais très loin.

(Ce texte a déjà un peu circulé, peut-être l'avez-vous déjà lu. Je l'ai piqué à www.poptronics.fr, son premier destinataire, en espérant qu'on ne me fasse pas un procès. Il ne manquerait plus que ça. Stress est visible sur leur site, allez-y vite on ne sait jamais.)

Je rappelle que la dévédition par Arte Vidéo de Le fond de l'air est rouge est un événement majeur de ce printemps.

Et que Chris Marker aime beaucoup les chats.

chatmarker

La fable chinoise de l’imbécile, du doigt et de la lune a tellement servi qu’on éprouve une certaine crispation à la trouver au bout de sa plume. Pourtant j’ai beau tourner la chose dans tous les sens, je n’en vois pas qui s’applique aussi littéralement au communiqué du MRAP, portant plainte contre le clip du groupe Justice dont "l’intention raciste est avérée". Le mot inadmissible ici est "avérée".

Tout le monde a le droit d’exprimer une opinion ou un blâme, mais il faut une sacrée dose d’outrecuidance pour décider, non de la portée éventuellement négative d’une œuvre, mais de l’intention intime de son auteur. Car il y a, figurez-vous, un auteur, Romain Gavras, et autour de lui un groupe, Kourtrajmé, dont les productions jusqu’à ce jour avaient comme caractéristique de déplaire tout particulièrement aux racistes. Ce pourrait être déjà un sujet, au moins, d’interrogation.

Mais d’abord, marre de ce terme de "clip" pour désigner n’importe quel très court métrage. Tant de longs métrages aujourd’hui ressemblent à des clips étirés qu’il est permis de saluer un clip qui ressemble à un film. Je risque un autre mot, en m’amusant d’avance de l’incrédulité qu’il va susciter chez certains : un poème. Un poème noir, violent, sans concession, sans alibi, magnifiquement "écrit" (encore faudrait-il qu’on s’intéresse à l’écriture cinématographique, vaste débat) et dans la ligne d’un certain nombre de ces poèmes qui dans toutes les langues, à un moment donné, ont dérangé et troublé, et dont certains en effet ont fini devant les tribunaux.

Montrer ce que personne ne veut voir, c’était en d’autres temps une fonction de la poésie. Cet objet non identifié qui tombe dans un paysage audiovisuel où par ailleurs la violence est partout présente, mais avec assez de roublardise et de complaisance pour être acceptée sans états d’âme, j’aurais tendance à le comparer au parallélépipède que Kubrick dresse, dans 2001, près d’un troupeau de singes endormis. Incongru, incompréhensible au point que c’est à force de n’y rien comprendre que s’éveillera l’idée qu’il y a quelque chose à comprendre. Les singes ont évolué. Les censeurs, ça reste à voir.

Chris Marker

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Commentaires
K
Le lettre de Chris Marker a le mérite de recentrer le débat sur un vrai sujet : l'art. Le procès d'intention, qu'il pointe très justement, est une conséquence de cette malheureuse loi française contre l'incitation à la haine. Paradoxalement, même si les intentions (et encore...) de cette loi peuvent parfois être justifiées, elle n'en constitue pas moins une enfreinte à la liberté d'expression, et, surtout, une incitation à un surcroît de politiquement correct, avec sa conséquence naturelle, un surcroît de provocation.
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T
Il a tout compris Chris! Bravo!!!
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