Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
le vieux monde qui n'en finit pas
le vieux monde qui n'en finit pas
Publicité
le vieux monde qui n'en finit pas
Visiteurs
Depuis la création 1 409 298
Newsletter
Derniers commentaires
21 septembre 2008

Rions avec le prince de Ligne

Dans le téléfilm de Daniel Leconte, C'est dur d'être aimé par des cons, on entend Philippe Val se poser la sempiternelle question: «Est-ce qu'on peut rire de tout ?» et marmonner, avec un de ces mouvements du menton dont il a le secret, une réponse du même bois. (Celui dont on fait les clichés inoffensifs, genre «Oui, mais pas avec tout le monde» ou «Certes, mais à condition que Siné ne soit pas là.»)

Il y a belle lurette que Charles-Joseph de Ligne, prince du Saint-Empire et baron de Belœil, souverain de Fagnolles, seigneur de Baudour, grand d'Espagne et chevalier de la Toison d'Or, quoique ignorant tout des disputes qui déchirent le milieu des humoristes français, s'est posé la question. Il y répondit d'ailleurs, distinctement et avec style. (Né à Bruxelles en 1735, il est mort à Vienne en 1814. Les dictionnaires le nomment encore, au dam d'Elio di Rupo, «le plus grand des Wallons».)

Voici, selon lui, où trouver des «sujets de rire». C'est long, mais ça tient en une phrase. [Extrait de Mes écarts, p.72 de la version établie par Roland Mortier pour les éditions Labor, Bruxelles, 1990.]

de_ligne

« Il y a bien des sujets de rire dans le monde : il faut savoir s’en emparer. Les ridicules, les méprises, les originalités, les airs, les tons, les mots mal placés et d’habitude, les bossus, les figures, les jargons, les comparaisons, les souvenirs, les malentendus, les attrapes, les surprises, les mensonges, les mines, les tics, les habitudes, les choses de convention, ou à contrefaire, les remarques qu’on fait avec ses amis, la façon de s’entendre avec eux, les fausses citations, les à-propos, les mauvais propos, les liaisons de l’S et du T, trop fortes ou mal placées, des gaietés sur le mot, des misères, des mots plaisants, des sens retournés exprès, des pensées métamorphosées, les impatiences, les contrariétés qu’on voit souvent aux autres ; leur colère, les importants, les distraits, les bégayeurs, les méfiants, les maris, les fanfarons, les gens qui ne savent jamais trouver un nom propre, et qui disent toujours une chose pour l’autre ; des passants qui croient n’être pas vus ; quelqu’un, qui que ce soit, à regarder fixement à un grand dîner, dans un cercle, ou pendant un quart d’heure, sans qu’il s’en doute ; des faiseurs d’esprit, et des femmes qui veulent toujours plaire ; la confiance d’un militaire, l’orgueil d’un ministre, l’air moelleux d’un robin, l’air sucré d’un abbé, l’air capable d’un évêque, l’aigre-doux d’une dévote, le maintien des différentes classes, des courtisans à la cour, et des danseurs dans un bal ; les airs des agréables et des élégantes à la promenade ou aux spectacles ; leurs fausses joies en y arrivant, la gaieté que l’on joue, pour qu’on dise : Mon Dieu ! que cette petite femme est folle ! qu’elle est vive ! qu’elle est aimable !, les fausses protestations d’amitié, et l’envie de parler de soi, qu’on découvre à quelqu’un ; tout Molière, deux pièces de Beaumarchais ; les spectacles détestables, parce qu’on y rit de l’auteur ou de l’acteur ; les marionnettes, les chansons des rues, les théâtres du boulevard, les parades, les platitudes, les hasards, les rencontres, les reparties, les accidents, les chutes, les embarras, les bavards que d’autres bavards empêchent de parler ; tout ce qu’on rencontre d’importants, d’importuns, d’empressés, de fâcheux même ; enfin, tout ce qui est saisi et suivi avec gaieté, lorsqu’on a l’esprit bien fait, et que l’on n’est ni envieux, ni méchant, ni suffisant : alors on rira, et l’on sera toute la journée prêt à rire. »

~

li_ge

Publicité
Publicité
Commentaires
P
ce qui est à Desproges.<br /> "Rire de tout mais pas avec tout le monde", c'est sans doute un cliché inoffensif lorsqu'on le répète à satiété dans des salons où l'on est de toutes façons du même monde mais c'est plus rigolo et corrosif lorsqu'on l'invente pour l'envoyer à la figure d'un activiste d'extrême-droite qu'on a invité dans son émission juste pour le plaisir de lui dire que, finalement, ça ne va pas être possible de rire ensemble.<br /> A part ça, la citation de De Ligne est magnifique!
Répondre
Publicité