rouillan1

Aline Louangvannasy, professeur de philosophie, a fait parvenir un poulet au journal Le Monde (8/10/2008). L'argument est limpide, et irréfutable. Le voici donc, in extenso (et son blog est ICI ) Aline, on vous aime. Si tous les profs de philo étaient de votre trempe, je courrais m'inscrire à la faculté séance tenante.

Qui a peur de Jean-Marc Rouillan ?

« Quel est le crime de Jean-Marc Rouillan, crime qui lui vaut d'être reconduit manu militari en prison ? Contrairement à ce qu'on lui fait dire de part et d'autre, ce n'est ni l'apologie de la violence ni son manque de regret à l'égard du meurtre de Georges Besse (l'ancien PDG de Renault, en 1986), puisque sur cette question il ne s'exprime pas, car il n'en a pas le droit.

Son crime, c'est d'être cohérent avec lui-même. Et, là, tout le monde est bien embêté, à gauche surtout, parce qu'il devient le miroir de nos hypocrisies et de nos petits arrangements avec nos utopies. Il vaudrait donc mieux qu'il se taise définitivement, d'autant plus que, après trente ans de prison, dans des conditions parfaitement inhumaines, sa vitalité semble mettre en échec la logique disciplinaire du régime carcéral.

Nous vivons à une époque où le capitalisme a atteint son maximum de violence. La crise financière exige des têtes, des coupables à désigner à la vindicte populaire. C'est fait, on peut même dire qu'il y a consensus sur le nom des coupables. Mais, attention, nous pourrions prendre M. Sarkozy au mot, et aller attendre Carlos Ghosn à la sortie de l'usine pour lui demander des comptes.

Ce n'est pas le fantôme de Jean-Marc Rouillan qu'il faut craindre, c'est le degré d'exaspération sociale qui a atteint un tel niveau qu'il deviendra de plus en plus difficile de la canaliser, aussi bien par des politiques sécuritaires que par des utopies édulcorées. Même si nous la refusons, la violence est toujours une possibilité. D'autant plus imminente et probable que nous sommes confrontés à l'incapacité de nos élites dirigeantes, quelles qu'elles soient, à construire un espace politique qui prenne en compte nos aspirations au bonheur, à la reconnaissance et à la justice.

Au nom de la justice, parce que nous avons condamné la rétention de sécurité, au nom de la liberté d'expression, parce qu'elle est le seul rempart contre l'arbitraire, nous devons exiger la remise en semi-liberté de Jean-Marc Rouillan, qui a payé sa dette à la société, et cela quoi qu'on puisse penser individuellement des faits qui l'ont conduit en prison. Il ne doit pas être le bouc émissaire de notre propre impuissance. »

Aline Louangvannasy

rouillan2