Courir
« Eh bien dis donc, lui dit le docteur, tu avais l'air d'avoir un de ces torticolis, tu grimaçais encore plus aujourd'hui qu'à Berlin. Je sais bien, reconnaît Émile, c'est ce qu'on me reproche tout le temps. À l'entraînement, en compétition, ils disent tous ça. Mais je ne peux pas faire autrement, ce n'est pas un genre que je me donne. Je te jure que ça fait vraiment mal, ce que je fais, si tu crois que je n'aimerais pas mieux sourire. Tu pourrais quand même essayer, suggère distraitement le docteur en levant la main pour renouveler sa pinte. Je n'ai pas assez de talent pour courir et sourire en même temps, reconnaît Émile en levant aussi la sienne. Je courrai dans un style parfait quand on jugera de la beauté d'une course sur un barème, comme en patinage artistique. Mais moi, pour le moment, il faut juste que j'aille le plus vite possible. »
Jean Échenoz, Courir (Minuit, 2008, p.62)