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6 mars 2009

Hystérie Slumdog : une voix discordante

ritwik_ghatak__ajantrik_
Ajantrik (L'Homme-Auto, 1958) de Ritwik Ghatak

On se sent un peu seul, depuis quelques semaines, au milieu de l'hystérie unanimiste qui a accueilli l'étron néocolonialiste de l'esbroufeur Danny Boyle, puis son triomphe prévisible à la cérémonie des Oscars. Une voix discordante, tout de même, se fait entendre çà et là, qui tente de remettre les pendules impériales à l'heure. C'est le cas de Tarun Tejpal, écrivain (dont j'avais aimé, il y a quatre ans, Loin de Chandigarh) et emmerdeur professionnel. Extraits d'une tribune publiée par un quotidien français. Texte complet ici.

En attendant une hypothétique réédition des films de Guru Dutt et de Ritwik Ghatak.

« [...] de loin, derrière le vacarme enthousiaste des critiques et des spectateurs, je me pose des questions sur le film. Hormis la musique toujours enchanteresse d’A.R. Rahman et l’éclat naturel des jeunes enfants, je m’efforce de comprendre pourquoi un film raisonnablement distrayant, relativement inconsistant, relativement incohérent, à la distribution relativement bâclée, au fil narratif banal et à la pensée politique douteuse peut devenir un tel phénomène.

« On éprouve de l’admiration non pour le film mais pour son épopée miraculeuse. Visiblement, dans un océan de publicité et de battage médiatique toujours plus médiocres, l’idée d’excellence véritable est un radeau en perdition. A cause de ce battage médiatique, le film devrait décevoir un Indien. Il ne me raconte rien que je ne sache déjà et il me raconte des choses que je sais fausses. Le fait que le film mette la lumière sur la pauvreté abjecte en Inde ne me pose aucun problème. Cet éclairage est salutaire et appelle à une exploration plus approfondie. Mon problème est l’inverse : le film banalise la pauvreté. Il utilise ses excréments et ses membres coupés pour raconter une histoire douteuse qui laisse le spectateur non pas perturbé mais content de soi. On quitte son siège euphorique et non pas affligé.

« Le film raconte un énorme mensonge : les Indiens pauvres ont une chance de sortir de la misère pour trouver l’aisance et la joie. Un jour vous êtes dans la fange, le lendemain vous tombez sur une fille du bidonville qui n’a peut-être pas été à l’école mais semble s’être débrouillée pour traverser les bureaux du magazine Vogue. Avec un stupéfiant manque de vraisemblance, on voit Jamal l’enfant des rues grandir dans une école de garçons raffinée, où l’on doit probablement servir des sandwichs au concombre à déjeuner. Les aspirants millionnaires indiens - et certains milliardaires - se couperaient les doigts pour pouvoir s’enorgueillir d’un fils aussi sophistiqué. Pour l’accent seul, ils se priveraient aussi de leurs orteils.

« [...] Les spectateurs épatés ne seront pas non plus dérangés par la représentation de la police. Ils savent que la police de Bombay a triomphé du crime, du viol, des émeutes, du vol et de l’escroquerie. Que la seule tâche qui lui reste est de coincer des candidats filous de jeux télévisés et de les torturer toute la nuit à coups d’électrochocs pour leur faire avouer leur présumée tricherie. Si les décors sont convaincants et le policier suffisamment gros, il n’y a aucune raison de douter. Chacun sait aussi que, derrière la corpulence et la dureté de la police, se cache l’âme de mère Teresa. Dès que le garçon qui mange des sandwichs au concombre se met à parler, le cœur du policier fond et l’empathie coule à flot comme les fèces dans les taudis.

« [...] Les médias épatés nous expliquent que le film parle d’espoir. Or l’espoir, comme chacun sait, est au-dessus de l’inconsistance, de l’inexactitude, de l’invraisemblance, de la politique douteuse et des critiques rabat-joie. Quant au film traitant du triomphe de l’espoir impossible, il surpasse de très loin ce qui précède. CQFD. Bien entendu, c’est aussi une fantaisie, un conte de fée. Et puisque, pour ces pauvres bougres, l’espoir aussi est une fantaisie, tout est cohérent, tout colle parfaitement.

« Les lecteurs épatés des médias épatés savent que là réside la différence cruciale entre des gens comme Satyajit Ray, Mira Nair et les Slumdog millionnaires. Leurs films parlaient de la pauvreté et des enfants des rues. Celui-ci parle de l’espoir insensé. Au fond de leur cœur, les lecteurs épatés savent que les pauvres ont désespérément besoin d’espoir. Ils savent aussi que l’espoir est tout ce qu’ils peuvent - et veulent - leur donner. [...] Mais les grandes récompenses, arguent les fous, doivent aller aux fragiles constructions de vérité et d’excellence. Les sages, pour leur part, savent que les acclamations ébaudies aux oscars ont plus de valeur. Ils savent qu’elles ont le don très rare (comme dans le film) de transformer la merde ordinaire en chocolat fondant et en beurre de cacahuète. »

guru_dutt
Guru Dutt

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Commentaires
C
ah oui, il y va carrément. En un sens il me rassure. Je ne sais comment je fais, mais je ne vais jamais voir les films que tout le monde a vu : le grand bleu, titanic, bienvenue chez les ch'tis...etc. Bizarre.
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D
Profitons de cette belle mise au point pour signaler la réédition récente d'un inédit de Satyajit Ray chez "Epicentre" : "l'expédition". Ce n'est peut-être pas le plus grand film du cinéaste mais c'est tellement supérieur, bien évidemment, à tous les Danny Boyle du monde!
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