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le vieux monde qui n'en finit pas
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16 juillet 2009

Communiqué de La Meute (Nantes)

[Suite de Nantes: attaque de loups et culture en émoi , 4 juillet]

POUR UN ART DES CONSÉQUENCES

source indymedia nantes

Le 15 juin 2009, l'artiste Stéphane Thidet donnait une conférence sur son «œuvre»: six pauvres loups fermiers transplantés dans les douves du château de Nantes. Quelques personnes portant des masques de loup, sont intervenues silencieusement en lançant seize papillons signés La Meute. Sur chacun: une simple phrase. [Voir billet suivant : Les seize papillons de La Meute]

Le 18 juin, face au château, la phrase suivante à été écrite en rouge sur un mur, avec la même signature: «Le pont-levis est relevé, mais les murailles sont lézardées».

Le 27 juin, un groupe de gens «bien préparés», porteurs des mêmes masques, a attaqué et saccagé le Lieu Unique, là où le consommateur culturel vient siroter ses boissons fraiches entre deux œuvres. «Ça a été hyperviolent et impressionnant», a déclaré l'un d'eux. Boutique ravagée, bar en miettes et œuvre d'art entamée par le fer. Rien n'a été épargné. Le tout était recouvert «d'un produit visqueux noir». La police est arrivée très vite mais nous avions déjà disparu, non sans laisser un tract sur place:  «Nous sommes revenus». [Voir billet :  Tract de La Meute. Nous sommes revenus]

«Depuis ce Lieu Unique, au cœur de la Métropole, les agents d'une guerre contre tout ce qui vit et qui leur échappe voudraient démontrer que rien ne peut plus arriver», écrivons nous dans ce texte d'une opération dont le commentateurs s'efforcent depuis d'escamoter tout sens politique: c'est du moins l'obsession du conseillé artistique d'Estuaire Jean de Loisy, critique d'art et commissaire d'expositions. C'est aussi bien leur intérêt: effacer tout ce qui peut apparaître comme oposition véritable à leurs projets, en la noyant dans le flux des opinions acceptables parce qu'impuissantes, ou en la réduisant à l'action «stupide» de «prédateurs». On reconnaît la manœuvre classique des pouvoirs modernes: neutraliser ou dépolitiser tout ce qui les dérange.

Estuaire: c'est une biennale montée à Nantes par Jean Blaise, «l'agitateur culturel» au service du maire de la ville depuis vingt ans. Cette année, il s'agissait de mettre du sauvage dans la cité. Comme les loups fermiers. Comme ces oiseaux encagés qui «deviennent les inventeurs d'un nouveau son (...) en sautillant sur des guitares» déclare l'imbécile de Loisy qui ajoute: «Ces œuvres ouvrent une porte sur l'imaginaire, donnent une perception mythique de l'Histoire». Le même imbécile, dont la tête d'imbécile illustre les commentaires dans le journal local, aligne scolairement les poncifs: les œeuvres mettent en scène «le conflit éternel entre ordre et désordre, sauvage et domestique, naturel et artificiel». Avec lui, les artistes accumulent les mots creux, les postures et les codes qui les font se reconnaître entre eux. Dans un camp.

Dans un camp politique («droite» et «gauche» confondues). Parce qu'ils contribuent à des choix politiques, planqués derrière des arguments ludiques ou poétiques. Parce qu'ils sont chargés d'occuper les esprits, de quadriller l'espace, de préparer son aménagement rentable à grands renforts de prestations médiatiques, de financements, d'arguments publicitaires. Parce qu'en vidant le langage de tout sens, de toute conséquence, c'est le débat lui-même qu'ils rendent impossible, et nous en prenons acte. Parce que la culture «démocratisée» (un fourre-tout pour spectateur qui n'a plus rien d'une culture) est devenue le cheval de Troie de l'économie moderne. A Nantes, les machines de Royal de Luxe, les anneaux de Buren et les bars du hangar à bananes ont été froidement programmés pour attirer les Nantais de l'autre côté de la Loire, sur l'île de Nantes, dans la perspective d'aménager cette île comme la ville du XXIe siècle. Et Saint-Nazaire, cité ouvrière et peu conforme aux directives de l'économie moderne, est déjà une cible pour les aménageurs qui usent des mêmes moyens pseudo-culturels, à l'occasion d'Estuaire, pour avancer leurs billes, leurs discours, et engager leur nouvelle conquête avec la même arrogance dévastatrice.

C'est tout cela que nous avons attaqué au Lieu Unique, pour faire exister un clivage réel, parce que nous ne laisserons pas ravager sans rien faire des possibilités de vivre tout autre que celles que les aménageurs nous imposent car derrière les artistes et les aménageurs, il y a la police et les contrôles qui se multiplient. La violence de l'attaque était la seule façon de creuser une tranchée entre eux et nous, de donner corps à notre critique qui ne sera pas une critique de plus, recyclable dans n'importe quel débat pour branchés. Notre critique se nourrit de gestes, de mises en pratiques de nos mots, parce que c'est tout simplement notre vie qui n'est pas compatible avec les projets du capitalisme, sous quelque nom qu'il apparaisse. Et cette sensibilité-là est immédiatement politique.

Divers commentateurs semblent s'émouvoir de la «violence» de nos actes, et brandissent tel propos d'André Breton contre nous. Ces incultes travestissent l'histoire des meilleurs moments du dadaïsme et du surréalisme, que le saccage des impostures (en particulier artistiques) et les gifles bien administrées aux de Loisy de son temps n'effrayaient pas: Parmi tant d'autres, deux phrases d'André Breton:
«Une vérité gagnera toujours à prendre pour s'exprimer un tour outrageant.» (Les Pas Perdus), «Je sais que si j'étais fou, et depuis quelques jours interné, je profiterais d'une rémission que me laisserait mon délire pour assassiner avec froideur un de ceux, le médecin de préférence, qui me tomberait sous la main. » (Nadja)

Incultes encore, avec les écrits qu'ils sponsorisent dans un receuil de six textes intitulé La Meute et publié sous la responsabilité de Jean Blaise et du Lieu Unique. Ils n'ont pas reconnu, dans les seizes papillons lancés le 15 juin, ni dans les phrases en italique du tract, seize phrases précisément extraites de l'un des six textes titré l'introduction qui vient par Joseph Confavreux, qui officie par ailleur à France-Culture et au sein de la revue Vacarme. Ce texte, qui s'affiche comme un prolongement inoffensif de L'insurrection qui vient, se saisit pour partie du contenu et du style de ce livre qui a été spectaculairement désigné comme le style critique par excellence, et détourné à ces fins par de nombreux commentateurs. Confavreux adopte un ton menaçant, simulant le loup revenu, ou l'homme-loup prêt à ravager ce qui le conditionne. Il cite à plusieurs reprises le livre du Comité invisible et se pose en continuateur. Bien sûr, c'est du bavardage, ce recyclage instantané de la critique par la pointe avancée de la culture officielle. Ce lessivage, dans une époque ou l'on peut tout dire sans conséquence, ou pour couvrir les conséquences dont il s'agirait de cacher les causes et le processus réel, s'efforce de saturer toute critique effective en vidant de sa force une parole (comme un clonage, en remplaçant le noyau actif par une charge à blanc) pour la faire circuler comme pure forme, disponible dès lors pour nourrir les dispositifs de nos ennemis. Comme s'ils avaient voulu intégrer, de manière plus ou moins consciente, la critique au coeur de l'œuvre elle-même.

C'est pourquoi l'œuvre – ou ce qui la symbolise – devait être brisée.

Face à l'injure (car il ne s'agit plus seulement, dans le texte de Confavreux, de la domestication de ce qui reste de vivant, mais de celle de tout ce qui fonde notre langage, en puissance et directement), la seule riposte possible était de retourner la charge de l'ennemi contre lui-même: en reprenant ses propre phrases et en les chargeant de conséquences, en les concrétisant par des actes.

Les prendre au mot, et raconter notre histoire. C'est aussi ce que nous avons fait avec «l'œuvre» de l'artiste Vincent Mauger exposée au Lieu Unique: structure gigantesque en bois, enrobée de mots creux. Il invitait «le visiteur à y déambuler, à s'approprier l'espace afin d'y créer sa propre histoire». Qui l'a fait, sinon nous? De quoi se plaignent-ils, ces «créateurs» qui quadrillent le vide, quand nous donnons un peu de sens à leurs pauvres mots?

Tandis que la guerre est quotidienne dans les banlieues, contre les UTEQ (Unités Territoriales de Quartier), elle doit aussi être conduite au cœur des Métropoles, contre leur complément, pacifié en apparence: ces «industries créatives» qui constituent le secteur le plus avancé et l'argument de prédilection du capitalisme moderne. Ce secteur, qui regroupe chercheurs, étudiants, artistes, entrepreneurs, journalistes et publicitaires, exhibe une image qui se veut séduisante, dynamique, mobile, flexible, critique, autrement dit: le masque rassurant de l'Economie. Ce masque, selon nous, est aussi abject que ce qu'il cache, car il le rend possible. D'où la nécessité de le détruire, pour dévoiler l'ennemi à tous les regards. Ce que nous voyons c'est que le désastre de la civilisation réside dans le ravage de tout lieu habitable. Nous situons le point de renversement, la sortie du désert, dans l'intensité du lien que chacun parvient à établir entre ce qu'il vit et ce qu'il pense. Au centre de notre offensive, nous plaçons l'établissement et la défense de lieux, de mondes habités. Rompre une à une nos dépendances vis-à-vis de la Métropole en est une condition.

NOUS SOMMES REVENUS, ET LE RIRE S'EST FIGÉ SUR LE VISAGE DE CEUX QUI, NOUS VOYANT ARRIVER, CROYAIENT AVOIR AFFAIRE À DES ARTISTES. NOUS SOMMES REDEVENUS OFFENSIFS.

LA MEUTE

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Commentaires
M
Il faut ( puisqu'on est dans les conséquences ) donc lire aussi Alain Brossat ( encore lui, et oui ) et son récent et très bien nommé " Grand dégoût culturel ".<br /> <br /> http://www.editionsduseuil.fr/auteur/Alain%20Brossat/11916
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