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le vieux monde qui n'en finit pas
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30 août 2009

Lectures pour tous : Jørn Riel

mais_c_lib

Ce qui manquait à Bandita Eliassen, c'était un homme. Depuis le début de son veuvage dix ans auparavant, une telle créature lui faisait cruellement défaut. Mais personne n'avait jamais vraiment eu le courage de jeter son dévolu sur Bandita, même si elle avait de l'argent au fond de son coffre, des moutons plein la montagne et une santé à toute épreuve.

Parce que Bandita était célèbre pour sa langue acérée et la force prodigieuse de ses biceps. [...] On racontait qu'elle avait tué son mari, qu'elle l'avait tabassé à mort parce qu'il avait essayé de faire une fugue jusqu'à Julianehåb. Mais personne ne savait au juste ce qui s'était passé vu que quand le curé était arrivé, le bonhomme était déjà mort et enterré depuis six bons mois.

Cela faisait donc dix ans déjà qu'un homme manquait cruellement dans la maison de Bandita. De préférence un homme fort, capable de travailler vingt-quatre heures sur vingt-quatre pendant les nuits claires de l'été, et qui, à part ça, lui soit tout dévoué. Bandita avait deux cents moutons qui devaient passer cent jours de l'année à la bergerie et qui bêlaient à tout va pour avoir à manger.

Elle trimait elle-même comme une bête. Elle pêchait ces petits poissons qu'on nomme angmagssat quand ils arrivaient dans le fjord. Jambes nues dans l'eau glaciale, elle les jetait sur la plage avec une épuisette. Puis elle les séchait au soleil pour les utiliser comme fourrage pendant l'hiver.

Elle cueillait des brindilles de saule et les séchait lentement pour que les feuilles ne tombent pas. Elle récoltait des algues de la plage à grands coups de pelle, les rinçait à grande eau pour les dessaler et en faisait des meules devant la maison. À la fin, elle fauchait toute l'herbe du coin, la séchait, et ramenait le foin à la maison en le portant en grosses bottes sur son dos.

Il y avait plein de choses à faire, plus qu'une femme ne pouvait en assumer, même si elle était forte comme un bœuf. Voilà pourquoi un homme manquait si cruellement à Bandita. [...]

À aucun prix elle n'aurait manqué les nombreux bals organisés [en ces moments-là]. [...] Mais à un moment ou un autre, invariablement l'affaire tournait au vinaigre. Une fois, elle avait tabassé un jeune pêcheur facétieux qui lui avait trouvé un pou de mouton d'une taille impressionnante dans les cheveux et l'avait tenu en l'air pour le montrer à tout le monde. Geste malheureux. Évidemment qu'on a des poux de mouton quand on possède deux cents bêtes, les poux sont pour ainsi dire l'emblème de la prospérité. Toujours est-il qu'il fallut d'urgence pour le pêcheur mettre le cap sur Julianehåb où il y avait hôpital et médecin.

Jørn Riel, extrait de La Maison des célibataires (1994), Gaïa, 2009
traduit du danois par Susanne Juul et Bernard Saint Bonnet

jorn_riel
Jørn Riel (1931- ).
Bio, bibliographie, autoportrait sonore sur le site de
son éditeur.

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Commentaires
M
Je tiens La maison de mes pères ( chez 10/18 ) pour la plus fabuleuse histoire qu'il m'ait été donné de lire, ayant découvert son auteur il y a quelques années à Lanester (56). Je me souviens de quelques heures de lecture avec une netteté d'impression fulgurante, et notamment de ces intrépides missionnaires évangélisateurs échouant à bâtir un édifice à la gloire du Jésus tout sec, sur la banquise, devant les mines effarées, puis hilares, des chasseurs du coin. Génialissime !
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