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le vieux monde qui n'en finit pas
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6 septembre 2009

Lectures pour tous : Max Aub

« Il n'y a pas de lumière électrique à Barcelone. Pas de lune non plus. Seulement des coups de feu et des églises qui brûlent. Les gens arpentent les rues d'un incendie à l'autre. Les pompiers ont tenté d'intervenir, mais le peuple à coupé les tuyaux. Les églises se consument, mais la cathédrale et le monastère de Pedralbes sont épargnés. On ne brûle pas le gothique, c'est le seul ordre qui en impose au peuple. Barcelone dans l'ombre, mais avec suffisamment d'églises pour pouvoir circuler en ville, avec l'obstacle des chevaux morts et des coups de feu tirés par des fascistes confortablement installés sur leurs balcons, assassinant à bout portant. Un million d'habitants sans autre lumière que de gigantesques torches. Toutes les églises ressemblent maintenant à la Sagrada Familia, et Barcelone sent le roussi. Branches élancées, langues d'étincelles par myriades dans le noir, le noir de la nuit, et la fumée contre les étoiles. Les gens muets, d'une station à l'autre, avec leur sentiment tragique de la vie dans les poches, attendant le miracle, comprenant qu'un monde nouveau est en train de voir le jour, qu'il peut mourir en couches, comme tant de fois par le passé dans ce même lit, mais tout le monde hume cette naissance. On la pressent et nul ne dit mot: le seul bruit est le feu qui crépite. Le feu s'élève dans le ciel et la ville noire, avec des blessés devant les portes et des assassins sur les toits. On voit les ventres de la fumée à la lumière des flammes, mais on ne voit ni les dos ni les sommets. [...]
Collé à une porte de l'église, [Rafael Serrador] aperçoit un vieil homme qu'il croit reconnaître. Ce dernier regarde les images que l'on sort et les grands feux qu'on allume. Il ne le quitte pas des yeux, il finit par s'en approcher.
- Pourquoi brûlent-ils les églises ?
Le vieux le regarde et lui dit sur un ton confidentiel :
- Chut ! Il faut toujours commencer par le chœur.
- Pour quelle raison ?
- C'est le noyau de tout ! dit-il en le regardant fixement dans les yeux. Sinon, ils sont capables de s'y asseoir à nouveau. [...]
Soudain, il se tourna brusquement vers Serrador et lui dit sur un ton tranchant :
- Car si on ne les brûle pas, ils reviendront !
- Qui ça ?
- Les curés et les diables. »

Max Aub, Le Labyrinthe magique, 1. Campo cerrado,
Les fondeurs de briques, 2009 (trad. Claude de Frayssinet).

Campo cerrado et Campo abierto, les deux premiers volumes de la fresque romanesque d'Aub (1903-1972) consacrée à la guerre civile espagnole, sont disponibles chez Les fondeurs de briques. Les quatre suivants, Campo francés, Campo de sangre, Campo del moro et Campo de los almendros, sont en cours de publication.

barcelone_190736
Barcelone, 19 juillet 1936

~

Voir aussi « Feu aux églises ! » :

« [...] à Madrid, Cordoue, Séville, Bilbao, Alicante, Malaga, Grenade, Valence, Algésiras, San Roque, La Linea, Cadix, Arcos de la Frontera, Huelva, Badajos, Jeres, Almeria, Murcia, Gijon, Teruel, Santander, La Corogne, Santa-Fé, etc., la foule a incendié les églises, les couvents, les universités religieuses, détruit les statues, les tableaux que ces édifices contenaient, dévasté les bureaux des journaux catholiques, chassé sous les huées les prêtres, les moines, les nonnes qui passent en hâte les frontières. Cent cinq édifices d'abord consumés ne cloront pas ce bilan de feu. Opposant à tous les bûchers jadis dressés par le clergé d'Espagne la grande clarté matérialiste des églises incendiées, les masses sauront trouver dans les trésors de ces églises l'or nécessaire pour s'armer, lutter et transformer la Révolution bourgeoise en Révolution prolétarienne. Pour la restauration de N.-D. del Pilar à Sarragosse par exemple, la souscription publique de vingt-cinq millions de pesetas est déjà à moitié couverte: qu'on réclame cet argent pour les besoins révolutionnaires et qu'on abatte le temple del Pilar où depuisdes siècles une vierge sert à exploiter des millions d'hommes! Une église debout, un prêtre qui peut officier, sont autant de dangers pour l'avenir de la Révolution. » [Le texte complet de ce tract signé Péret, Char, Tanguy, Aragon, Breton, Crevel, Eluard et leurs amis, se trouve sur le site du Juralibertaire .]

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