Le Spitfire de Marguerite Muir
« Il était là, seul. Grand, élégant, l'air d'attendre. Pas seulement l'air, il attendait. Comme toute chose attend qu'on la touche pour être chose. Une chose n'est rien sans la main qui la caresse, nous non plus d'ailleurs, on n'est rien, moins qu'une chose. Il attendait sa main, ce grand animal sous sa bâche grise comme une vieille blouse, une quantité de blouses cousues pour en faire une grande à sa taille.
« Elle venait le voir comme on va voir un cheval noir, le soir, avant la course du lendemain, ou quand l'héroïne a du chagrin, on va le trouver dans un silence tranquille, il est là dans son odeur chaude, aigre, de paille un peu souillée, on lui parle, elle le caresse en lui confiant ses petits malheurs, ses oreilles frémissent, s'orientent mais il n'écoute pas, il regarde ailleurs, un mouvement de tête à la rigueur. Il ne bougeait pas. Il attendait.
« Mickey et les quatre autres avaient travaillé comme des chefs, qu'ils étaient, chacun dans sa spécialité, tout refait, retapé, impeccable, du moteur au train, le moindre câble, des maniaques, des obsédés, seule l'hélice dépassait de sous la toile. Quatre pales noires à extrémité jaune. Quand elle tournait, le jaune dessinait autour du flou central un joli liséré. Muir tira sur la bâche.
« Un Spitfire d'un modèle différent mais néanmoins très proche de l'appareil qu'avait dû piloter Muir le père. Les ailes à moitié ocre et noir avec des raies blanches. Le fuselage camouflé sous des nuances de vert. La cocarde. Une française inversée avec en plus du jaune. Du gris aussi dans le camouflage. [...] Un grand B derrière la cocarde, puis, plus loin, en petites lettres et chiffres noirs, MH 434. »
[Christian Gailly, L'Incident, Minuit, 1996]
Voir aussi Les Herbes folles d'Alain Resnais