Un film d'Ovidie et Jack Tyler ixé
Histoire de Sexe(s), le premier film classé X depuis 1996
« Qu’y a-t-il dans Histoires de sexe(s) qui justifie cette vertueuse réprobation ? Que dalle. Sur le lointain modèle du Déclin de l’empire américain, mais en nettement moins chiant, des femmes parlent entre elles de leur vie érotique pendant que leurs mecs en font autant de leur côté. Ce que n’apprécient pas les pères-la-pudeur, c’est que leurs discussions sont entrecoupées de saynètes où l’on visualise les ébats dont il est question dans les dialogues. C’est plutôt bref, parfois drôle, sans gros plans gynécologiques, et assez bien filmé pour devenir, çà et là, émoustillant. Dans un pensum de Catherine Breillat, ça passerait comme une lettre à la poste (avant privatisation d’icelle, bien sûr). Le tort d’Ovidie et de Jack Tyler est de venir du porno, elle comme hardeuse, lui comme réalisateur. Ça, on ne le leur pardonne pas. Alors, comme on ne peut pas interdire complètement leur film, on le classe X, ce qui revient au même puisqu’il ne pourra être programmé nulle part. » [Jean-Pierre Bouyxou, Siné Hebdo]
Communiqué de la production et des réalisateurs
« Cela ne s’était pas produit depuis treize ans, la commission de censure a procédé le mardi 6 octobre à la classification X d’une œuvre cinématographique. Et nous sommes les détenteurs de ce triste record, coupables d’avoir naïvement présenté au CNC Histoires de Sexe(s). Ce film a fait l’objet de deux passages en commission.
« Lors du premier passage, l’obtention d’un visa interdit aux moins de 18 ans sans classification X avait été décidée à l’unanimité. À notre grande surprise, le passage en deuxième commission nous a été fatal. Il ne s’agit pourtant que d’une simple comédie de mœurs, ne contenant ni violence ni propos outrageux, qui n’aurait dû susciter aucun débat échevelé au sein de la commission.
« Notre crime? Avoir glissé quelques passages explicites de sexe non simulé, pourtant bien éloignés des codes de la pornographie classique. Ni gros plan, ni obscénité, ni dégradation de la personne humaine.
« Histoires de Sexe(s) avait pour ambition de s’affranchir des règles de l’industrie pour adulte. Nous aspirions à sortir du ghetto, le CNC nous y a renvoyés aussi sec.
« Il est généralement reproché aux pornographes de n’écrire aucun scénario, de ne pas travailler la mise en scène, d’être trop éloignés d’une sexualité réaliste, de dégrader la femme.
« Ce film relevait pourtant ce défi: présenter une sexualité non caricaturale, et mettre en scène la complexité de la relation de couple. Habituellement, les scenarii ne servent qu’à introduire les scènes de sexe qui sont la raison d’exister des films pornographiques. Dans Histoires de sexe(s), les courts passages explicites ne sont que des illustrations des propos tenus par les protagonistes. 95% de dialogues, pour 5% de sexe, et non l’inverse. Très clairement, il ne s’agit en rien d’un film masturbatoire.
« Avec ce film, nous attendions l’émergence d’un genre nouveau : celui du film traitant ouvertement de la sexualité, affranchi des codes de la pornographie et de son quota d’éjaculations faciales. Notre souhait n’était pas d’être exhibé à un public mineur, puisque nous réclamions une interdiction aux moins de 18 ans. Des films tels que Baise-moi (Virginie Despentes et Coralie Trinh-Thi) ou encore Nine songs (Michael Winterbottom) avaient obtenu un visa d’exploitation -18 sans pour autant être classés X.
« À l’ère de l’ultra-violence, nous ne comprenons pas que ce petit film indépendant que nous ne jugions pas "polémique" subisse la pire sentence que l’on puisse réclamer pour une œuvre de cinématographie. Plusieurs mois d’écriture et de casting, un mois de tournage, six mois de montage, auront été récompensés par une interdiction. Nous serons donc classés au même rang que des films de sex-shops, tournés en trois jours. Un triste retour en arrière, dans un pays se proclamant de la "liberté d’expression".
« Vous voulez en juger par vous-même ? Alors, à bientôt sur le site du film. »