La femme en noir de Chas Addams
La femme en noir dans l'œuvre de Chas Addams
À Maïla Nurmi, inoubliable Vampira (J.B.)
Livide, le teint bleu pâle, la bouche maquillée de noir, les yeux cernés de mauve, interminable et squelettique dans l'encre de sa longue robe-sirène qui se termine en tentacules de poulpe, telle est la femme idéale que Chas Addams, le plus grand dessinateur du monde, le seul humoriste vivant, dessine inlassablement.
Cette Greco de cimetière, aux longs cheveux de jais, poissés par les moisissures du cercueil, est la sœur de Vampira, la fille, ou la petite-fille, de Carol Borland, qui campa dans Mark of the Vampire, la plus énigmatique silhouette de femme de l'histoire du cinéma mondial.
Carol Borland
Cette obsessionnelle représentation d'une féminité archétype révèle un choc initial d'enfance (peut-être une nourrice vampire), choc initial que Chas Addams cultive, comme on arrose de sang d'enfant une orchidée carnivore précieuse.
La "famille" de "choses", pour ne pas dire de monstres, qui entoure la Belle inconnue de Chas Addams est, par contre, facilement identifiable: c'est la "famille" de monstres, c'est la maison même, d'Old Dark House, le chef-d'œuvre de James Whale, avec toutefois un invité d'honneur: le Peter Lorre des Mains d'Orlac.
Mais Elle, Elle, qui est-elle ?
Kathleen Burke
Non, elle n'est pas la féline Luna (Carol Borland), de La Marque du vampire, pas plus qu'elle n'est Lota, la femme-panthère (Kathleen Burke) de L'Ile du Dr Moreau.
Car Luna était vêtue de longs suaires blancs (dessinés par... Adrian, le couturier de Garbo !), et Lota, la femme-panthère, était presque nue et avait la tête ornée d'une énorme auréole de mousse noire crépelée.
Non, décidément, la Belle inconnue en Noir de Chas Addams ne peut être ni Carol Borland, ni Kathleen Burke... ce n'est pas, non plus, Vampira. Alors ?
Alors, elle n'existe pas, ou plutôt, elle n'existe que dans les cauchemars que font les personnages du grand dessinateur américain. Cauchemars dont Chas Addams me dit lui-même dans une lettre: "... whose nightmares must be a little more terrifying than my own".
Oui, c'est bien cela, elle est un cauchemar permanent que fait un personnage dont, chaque nuit, rêve un personnage dont rêve Chas Addams.
Elle vient d'une autre dimension, de ce "Dead of Night" qui se place bien au-delà du Rêve et de la Mort.
Elle vient du noir mat, total et absolu.
Jean Boullet
[Ce texte a paru dans Midi-Minuit fantastique n°2, juillet-août 1962,
"Vamps fantastiques". Sa photocopie m'a été envoyée par Jean-Pierre Bouyxou.]
Maïla Nurmi