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21 février 2010

Bibliothèque idéale : lettre de Bachelard à Queneau

En 1955, Raymond Queneau sollicita la fine fleur de la littérature française afin de constituer ce qui deviendrait Pour une bibliothèque idéale. [«Nous avons adressé à deux cents écrivains ou personnalités diverses un texte d'enquête accompagné d'une sorte de mémorandum destiné à faciliter pratiquement les réponses. Nous voulions essayer d'établir en commun une sorte de "bibliothèque idéale", c'est-à-dire de dresser la liste des cent ouvrages que "tout honnête homme se devrait d'avoir lus". Naturellement, on dira tout de suite: mais pourquoi cent? (...)»]

Beaucoup jouèrent le jeu. Certains accompagnèrent leur liste de réserves prudentes. [Ainsi, Roger Caillois: «Je comprends que je me suis acquitté d'une tâche vaine, regardant cette liste où presque tout demeure arbitraire ou accidentel et qui n'est même pas significative sinon justement par la nature des scrupules que j'ai mis à l'établir. »]

D'autres refusèrent tout de go, non s'en expliquer longuement. Ainsi, Gaston Bachelard, qui se fendit de la belle lettre de philosophe qu'on peut lire ci-dessous. (La liste définitive est visible ICI.)

Après quoi nous boirons le champagne au souvenir de Queneau, dont c'est le 107e anniversaire (21/2/1903), puis à la santé de El & Al, deux amis chers, amoureux des livres et des bibliothèques, qui sont tombés dans les bras l'un de l'autre il y a tout juste un an (21/2/2009). A Mortier, n'est-ce pas, car les bougres sont wallons.

gaston_bachelard
gaston bachelard

« Je ne serais pas philosophe si je n’avais des objections à faire au "concept" de bibliothèque idéale en 100 ("mettons 200", dites-vous) auteurs. À peine ai-je lu un livre que j’en veux un autre; ma bibliothèque idéale est essentiellement "ouverte". (C’est bien là mon infortune à moi, qui parle de rationalisme "ouvert".) Ma bibliothèque idéale est une lecture non une relecture, comme le demandaient les professeurs de ma jeunesse.

« Et puis, contre votre "concept", il y a une objection évidente. Concevez-vous quelqu’un qui s’arrête dans une lecture de tout Balzac, de tout Shakespeare, de tout Ibsen, etc. ? En ce moment, je lis L’Israélite de Balzac. Ça m’ennuie bien. Mais tout de même si à un tournant de page ce jeune Balzac était du Balzac ! J’enrage d’avoir tout lu (ce qui est traduit) d’Ibsen. J’en relis, mais je sais, je pense d’avance. Alors avec Balzac, Ibsen, Poe Shakespeare, Hugo Lamartine, Rilke, Goethe et tant d’autres que devient votre petit rayonnage "idéal"?

« Et je ne philosophe pas, et je ne mathématise pas ! Quelle tête ferait votre bibliothécaire idéal si on lui disait que l’on ne peut se passer d’un Combette ? (C’est là qu’à 12 ans j’ai été étonné par la géométrie.) Et puis vous, qui êtes cosmologue, avouez-le: on vous priverait d’un Lavoisier, d’un Baume, d’un Lémery. Vous ne sauriez plus volcaniser avec une pincée de soufre et une prise de limaille de fer. Mais ces goûts cosmologiques, entre nous, nos contemporains ne les comprennent pas. 

« Vous me demandez si dans votre surabondance il n’y avait pas quelque déficience ! Je suis sandiste. Et à la seule pensée que vous ne citiez pas Lelia, les deux éditions, à trois ans de distance, j’ai été abasourdi. À quoi ça vous sert une bibliothèque où il n’y a pas de cimetière des Camaldules !

« Vous voyez dans l’ensemble et dans le détail votre projet m’a trop étonné. Excusez-moi donc de ne pas vous avoir écrit. Il faudrait un livre pour vous répondre. »   

bibliotheque_ideale

Je remercie Thierry K et Thierry H, qui m'ont fourni les pièces à conviction.

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