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le vieux monde qui n'en finit pas
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10 mai 2010

Lectures pour tous : Franz Bartelt

« Au cours de ma promenade, [j’ai] vu également un monument aux morts représentant un soldat belge et un tirailleur congolais, tous deux appuyés sur la même épée. Le soldat belge est protégé par une capote et un casque. Il regarde la ligne d’horizon. Il voit loin. Le tirailleur congolais porte une chéchia banania et une culotte bouffante assez ridicule. Son regard est tourné vers le soldat belge. Il n’a pas à voir plus loin que le soldat belge. Son horizon, c’est le soldat belge seul habilité à voir loin. Si aimer c’est regarder ensemble dans la même direction, alors ces deux-là ne s’aiment pas.

Mais cette œuvre comporte une autre singularité. Le soldat belge a les yeux finis. De vrais yeux, avec iris et pupille. Le tirailleur congolais n’a pas eu le droit au même traitement de la part de l’artiste: il n’a pas de regard. Ou plutôt, il a le regard vide des statues ou des aveugles. Ses yeux ne possèdent ni iris ni pupille. Ce sont deux globes à surface lisse et morte. Symbole peut-être qu’il n’existe, lui, que pour obéir aveuglément à celui qui sait voir, qui est né pour voir, à qui le ciel et la patrie ont confié cette responsabilité. Les hommes meurent au combat, mais ils n’occupent pas dans la mort une place égale selon qu’ils sont blancs ou noirs. L’aptitude du Congolais à mourir pour un pays qui n’est pas le sien devrait pourtant lui valoir un surcroît de gratitude de la part des Belges. C’est le contraire qui se produit. Le Congolais fut le chien du Belge, aussi bien en temps de paix qu’en temps de guerre. Et traité comme tel, dans la réalité comme dans la symbolique des monuments. »

Franz Bartelt, « Un jour, il n’y avait rien de mieux à faire »,
in Petit éloge de la vie de tous les jours, Gallimard (Folio 2 €), 2009

~

 

tintinaucongo

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