Les survivants
« Voilà longtemps en effet que tes films n'ont, à la lettre, plus rien à voir avec ce qu'on entend communément par films - et beaucoup à dire si on les fait dialoguer avec un roman (Dostoïevski ?), un livre d'histoire (Braudel ?), un essai philosophique (Kierkegaard ?), une peinture (telle femme à l'ombrelle de Monet ?), une partition musicale (Mozart ?). J'ai sous les yeux un bouquin de Braudel, et je lis: "Alors qu'une histoire proche court vers nous à pas précipités, une histoire lointaine nous accompagne à pas lents." Au cours de notre marche claudicante, c'est certain, le cinéma s'éloigne - comme ces étoiles qui n'en continuent pas moins d'émettre leur signaux longtemps après leur disparition. Nous pensons en être les contemporains alors que nous en sommes les survivants. Comment, sachant cela, pourrons-nous continuer à faire semblant de faire des films ? Faudra-t-il nous crever les yeux pour que nous nous rendions à l'évidence? »
Lettre d'André S. Labarthe à Jean-Luc Godard, 25/6/1995
(cit. par Antoine De Baecque, Godard, 2010)