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le vieux monde qui n'en finit pas
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12 décembre 2010

Satan bouche un coin (le retour)

Il y a deux ans et demi, j'ai déposé sur ce blog le film de Bouyxou et Marongiu. Quelqu'un a eu l'idée bizarre d'en ôter la copie sur YouTube. Quelqu'un d'autre, mieux inspiré, a eu la  idée de le "poster" sur Vimeo. Le revoici donc, tout chaud tout neuf, à la demande générale. J'en profite pour signaler que Pierre Molinier est représenté dans l'exposition «Voyous, Voyants, Voyeurs» consacrée à Clovis Trouille, et qui se tient jusqu'au 16 janvier au musée du Vieux-Château, à Laval. Bonne année.

~

Un film réalisé par Jean-Pierre Bouyxou et Raphaël-G. Marongiu
10'26, 16mm, couleur, 1967-1968.
Produit, écrit et monté par Jean-Pierre Bouyxou.
Image Jean-Pierre Bouyxou, Raphaël-G. Marongiu, Loïc Picard.
Tourné à Bordeaux, Bruxelles et Paris.
Une production Ciné-Golem. (DVD publié par Cinémalta, 2066, et Sordide Sentimental, 2007.)

Avec Pierre Molinier, Etienne O'Leary, Janine Delannoy, Michèle Giraud, Anne-Marie, Muriel Rulier, Loïc Picard, Jean-Bernard Désobeau, Philipe Bordier, Noël Godin, Nadja Gohrr, Jean-Claude Vaucheret.

 

 

 

 

"En 1968, Jérôme Fandor, sous le pseudonyme de Jean-Pierre Bouyxou, retrouva la trace de Fantômas. Le maître de l’effroi, résidant 7 rue des Faussets à Bordeaux, se faisait appeler Pierre Molinier, peintre et photographe, et menait, dit-on, une vie scandaleuse. Fantômas avait compris que la plus grande subversion résidait dans le travesti lui-même, jusqu’à faire de son corps un crime contre la morale et les lois de la nature. Qui est Pierre Molinier ? À la fois Fantômas et Musidora, une face de vieux kroumir et une jolie pépée, Bela Lugosi et Ed Wood Jr., Docteur Jekyll et Sister Hyde, Hans Bellmer et la Poupée.
"
Le film en 16 mm, tourné par le journaliste pour prouver l’existence du criminel, est parvenu jusqu’à nous sous le titre énigmatique de Satan bouche un coin.
"
Tout d’abord, le Prince des ténèbres ouvre le bal. Masque de soie aux yeux effilés, voilette recouvrant une bouche de vampire avide, jambes gainées et buste corseté, il accueille sa turbulente progéniture : les enfants de Sade et du Coca-Cola, des filles ténébreuses et ensorcelantes, des garçons aux sourires de loups et même Justine, à peine sortie du couvent.
"
Un montage métrique à la moulinette accole l’extase du vampire et les exactions de ses disciples. Car, à cette créature faite de montage et d’impossibles sutures, à ce pervers ô combien polymorphe, il fallait un film tout aussi insolite dans sa découpe et ses agencements. Les coupes brèves fractionnent les gestes de Molinier en images presque fixes. Avez-vous déjà surpris, du coin de l’œil, le mouvement imperceptible d’une statue ? Tel est le territoire qu’ouvre le film, celui d’une confusion permanente entre les êtres vivants et les simulacres. Car Molinier relève moins de l’espèce humaine que du monde des mannequins, poupées et automates. Il appartient à cette zone clandestine de l’enfance, à ces romans noirs qui s’élaborent dans les greniers lorsque sont tirés des malles les étoffes et déguisements.
"
Molinier entraîne le carrousel anatomique qui mixe les matières : le sang, la cire, la peau, la soie, la gaze. Et tourne le manège infernal faisant circuler le désir dans chaque partie de l’automate. Dans cette ordonnance cadencée des plaisirs, ce n’est plus l’oxygène qui est insufflé pour donner la vie, mais l’érogène, cet autre gaz, tout aussi vital. Une communion est célébrée : prenez ce corps exquis et mangez-en tous.
"
Alors que le vampire caresse sa blonde victime aux seins nus, des scènes burlesques et épouvantables se succèdent, comme des pages arrachées au Chants de Maldoror : un garçon ôte son œil de verre, signifiant que, sous le règne de Molinier, nous sommes tous démontables ; une bénédiction sanglante plonge une fille nue dans l’extase ; un autre garçon fouette et viole un buste de pierre. Et comme dans tout beau roman noir, il faut, pour les garçons sauvages, délivrer de son donjon la sœur, l’aimée, s’échapper de l’orphelinat, fuir dans la nuit, escalader les noires collines et trouver refuge dans les grottes.
"
Molinier s’évade lui aussi, mais par l’intérieur du corps. En un effeuillage absolu, jusqu’au néant, la créature se décline en écorchés de Fragonard, en cires anatomiques, en squelettes. Cette poupée sanglante, cachée sous la peau, c’est “personne… mais cependant quelqu’un”(1). Par la toute puissante modulation de son anatomie, Molinier s’est rendu imperceptible, insaisissable.
"
Tremblez braves gens car, encore une fois, Pierre Molinier s’est échappé !"

Stéphane du Mesnildot (Bref n° 69, novembre-décembre 2005)

 

(1) Souvestre et Allain, Fantômas, Le Train perdu, 1910.

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Commentaires
K
Youtube l'a blackboulé ! Les salauds !
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L
thanks
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S
J'ai beaucoup entendu parlé de "Satan bouche un coin" mais ne suis jamais parvenu à le voir, ce qui rajoutait encore beaucoup à son sulfureux mystère ... <br /> Bravo et merci pour cette initiative qui remet en lumière un film qui restera à jamais comme un des plus rebelles, des plus déjantés et des plus transgressifs de toute l'histoire du cinéma et où l'on décèle quelques uns des furieux activistes de la contre-culture française des années 60
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D
Mille fois merci pour ce lien! Enfin je vais pouvoir découvrir ce court-métrage. Et qui sait, peut-être qu'un jour nous aurons le plaisir de voir sur un site de vidéos en ligne "Entrez vite, vite je mouille" ou "Amours collectives"...
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