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27 juin 2011

L'emplacement anatomique de la douleur amoureuse

L’emplacement anatomique de la douleur amoureuse

 

« Voici les organes du corps humain tels que représentés sur l’affiche publicitaire pour l’antalgique Paradison  qui trônait à l’époque dans les vitrines des pharmacies d’Istanbul. J’y ai indiqué les endroits où émergeait, se précisait et se diffusait alors ma douleur amoureuse, afin d’en offrir une vision claire au visiteur du musée. À l’intention du lecteur qui n’a pas cet atlas anatomique sous les yeux, précisons que le point de départ essentiel de la douleur se situait dans la partie supérieure gauche de mon abdomen. Quand la couleur devenait plus vive, elle se propageait aussitôt vers le creux entre l’estomac et la poitrine, comme indiqué sur ce schéma. Dès lors, elle ne restait pas cantonnée dans la partie gauche du corps mais se diffusait également à droite. J’avais l’impression qu’on me vrillait un tournevis ou m’enfonçait un morceau de métal brûlant dans la chair. On eût dit que des liquides acides refluaient de mon estomac et se déversaient dans tout mon abdomen, que de tenaces et cuisantes petites étoiles de mer adhéraient à mes viscères. S’amplifiant à mesure qu’elle s’exacerbait, la douleur irradiait dans le front, la nuque, le long du dos, dans chaque parcelle de mon corps et de mon esprit, me serrant à m’étouffer. Elle semblait parfois de concentrer dans mon ventre, rayonner en étoile autour du nombril – comme je l’indique ici sur l’image – et, tel un acide fortement corrosif, elle m’emplissait la bouche, la gorge, menaçait de me noyer puis se diffusait dans tout mon corps en une pulsation lancinante qui m’arrachait des gémissements. Frapper le mur de la main, faire des mouvements de gymnastique, bouger comme un sportif... cela m’aidait à l’oublier un instant. Cependant, même aux moments où la douleur était à son plus bas niveau, je la sentais en permanence se distiller dans mon sang, comme l’eau coulant goutte à goutte d’un robinet qui fuit. Elle me saisissait parfois à la gorge et m’empêchait de déglutir, ou prenait possession de mon dos, de mes épaules et de mes bras. Mais le centre essentiel de la souffrance restait toujours mon estomac. »

Orhan Pamuk, Le Musée de l’innocence, 2006, Gallimard « Du monde entier » (2011),
traduit du turc par Valérie Gay-Aksoy

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