Relectures pour tous : correcteur anonyme 2/3

« Un auteur téméraire s'avisera généralement de demander à son correcteur ce qu'il pense de son livre, sachant que ce dernier, à la différence d'un critique, ou d'un éditeur ou de sa femme (parfois néanmoins c'est la femme d'un auteur qui écrit ses livres), l'a entièrement lu. Voilà encore une situation dont, si le correcteur répond franchement et s'il a détesté l'ouvrage, rien de bon ne peut sortir et qui brouillera à mort les deux parties. Il se peut toutefois que le correcteur ait aimé le livre et le dise, mais ce cas de figure représente un si faible pourcentage qu'il n'y a pas lieu d'en tenir compte. Il se peut aussi que le correcteur ait apprécié mais affirme par malice ou pour toute autre raison le contraire, ce qui nous ramène au cas précédent.

« Je me souviens d'un auteur ayant commis un "guide de l'antifascisme" qui par mégarde me demanda mon avis, croyant ainsi m'élever à sa hauteur. Comme je lui répondis, ce qui était la stricte vérité, que son guide rendrait fasciste celui qui ne l'était pas et m'avait en tout cas donné des velléités de le devenir, la conversation tourna court, et nous sommes persuadés que désormais il s'abstient plus volontiers de solliciter l'opinion de ceux qui ont lu sa prose et (cas certes exceptionnel) sont prêts à la lui livrer. Telle est l'habitude dans le milieu dit littéraire (entre autres) de faire preuve d'une ardente hypocrisie (à ceux qu'on sait être des ennemis, one ne demande pas en général leur avis sur ses productions) que la simple franchise, autrement dit ce qu'on raconte par derrière sans problème, apparaît étrangement comme le scandale absolu. »

Souvenirs de la maison des mots, anonyme, Editions 13 bis, 2011