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le vieux monde qui n'en finit pas
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17 février 2012

Guerre d'Algérie : Rééditions Minuit 2

« J'ai été arrêté le 29 novembre 1958, à 18h30, au 146, rue Montmartre, par six inspecteurs qui m'ont conduit à la Caserne Noailles, à Versailles. Arrivant là-bas, vers 19h15, ils m'ont déshabillé et la séance a commencé par trois inspecteurs qui m'ont battu par des coups de poing au ventre, à la poitrine, aux épaules, aux reins, pendant une demi-heure. Après, ils m'ont fait la barre fixe, sur laquelle ils ont branché du courant électrique. Cette opération a duré jusqu'à 24 heures. Cela veut dire, toutes les demi-heures, on me relâche, dix minutes d'entracte, afin que je reprenne à peu près mes forces. Au bout de plusieurs séances de cette barre fixe, je ne pouvais plus me tenir debout. A 24 heures, ils m'ont descendu dans une cave et j'y ai passé la nuit.

« Le 30 novembre, j'ai passé un interrogatoire serré par plusieurs inspecteurs, au nombre de six, lesquels me demandent de faire des aveux sur l'oganisation du FLN, et de tous les responsables, tout en me traitant de tous les mots grossiers et de "sale race".

« Le 1er décembre, vers 9 heures, j'ai passé de nouveau la fameuse barrre fixe, dont j'ai donné les détails plus haut. L'opération a duré jusqu'à 12 heures. A 13 heures, ils m'ont emmené à la DST, rue des Saussaies. Arrivant là-bas, un inspecteur chargé de m'interroger m'a donné plusieurs coups de poing au ventre. L'interrogatoire a duré jusqu'à 18 heures. Vers 20 heures, ils m'ont ramené de nouveau à Versailles, où j'ai passé la nuit.

« Le 2 décembre, à 18 heures, les mêmes inspecteurs, dont M. R... - j'ai bien connu son nom, c'était lui d'ailleurs le plus acharné sur moi - m'ont repassé pour la troisième fois à la barre fixe. L'opération a duré environ deux heures. Après, ils m'ont battu par des coups de pied et de poing et plusieurs autres prises diverses: torsion des muscles, des bras, des jambes, jusqu'à me foutre même leurs doigts au derrière.

« Jusque-là, les tortures sont terminées. Pour les journées des 3, 4 et 5 décemmbre, ils m'ont passé à l'interrogatoire. Le matin, ils m'emmenaient à la DST, le soir ils me ramenaient à Versailles, durant ces quatre autres journées. Après, ils m'ont descendu au Dépôt dans la soirée du 9 décembre, où je suis resté jusqu'au 10 décembre au soir. Quand je suis passé devant le juge pour signer le mandat de dépôt, j'ai bien déclaré, à M. Batigne même, sur ces tortures subies, lequel n'a pas tenu en considération en me disant même:

« - Nous connaissons cette musique, vous êtes tous les mêmes. »

Khider Seghir, 26 ans, préparateur en pharmacie.

minuit gangrène

Le mot de Minuit :

Le gouvernement a fait saisir, le 19 juin, les exemplaires d'un livre, La Gangrène, que venaient de publier les Éditions de Minuit. Ce livre reproduisait des déclarations de cinq détenus algériens, pour la plupart étudiants, qui affirmaient avoir été abominablement torturés dans les locaux de la DST, rue des Saussaies, à Paris, entre le 2 et le 12 décembre 1958.

Le gouvernement a justifié cette saisie, dans un communiqué officiel, par le caractère "infamant et mensonger" du livre. Jeudi, au Sénat, répondant à une interpellation de M. Deferre, M. le premier ministre ajoutait que cet "ouvrage infamant", "affabulation totale qui ne saurait représenter en quoi que ce soit l"ombre de la vérité" avait été "rédigé par deux écrivains stipendiés du parti communiste".

Que le gouvernement considère les faits évoqués dans La Gangrène comme infâmes, il n’est pas un Français qui ne s’en réjouira.

Jérôme Lindon, 29 juin 1959

[Réédité en février 2012 par Minuit, à l'occasion du 50e anniversaire de la fin de la guerre de libération de l'Algérie.]

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