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le vieux monde qui n'en finit pas
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9 mars 2012

Lectures pour tous : Ivan Tourgueniev

« Nous n’avions franchi qu’une petite distance, lorsque, devant nous, surgit d’un buisson d’osiers un chien courant de piètre apparence;  à sa suite apparut un individu de taille moyenne, vêtu d’un surtout bleu passablement usé, d’un gilet jaunâtre, d’un pantalon gridelin ou bleu d’amour fourré tant bien que mal dans des bottes trouées; il portait un mouchoir rouge au cou, et un méchant fusil en bandoulière. Nos chiens, observant le cérémonial tout chinois qu’affectionne leur race, s’abouchèrent avec leur frère inconnu qui, fort peu rassuré, les jarrets tendus, la queue entre les jambes, les oreilles rejetées en arrière, tournait sur lui-même en montrant les dents; cependant le nouveau venu s’avança vers nous et nous salua avec une grande politesse. Il paraissait vingt-cinq ans; ses longs cheveux d’un blond ardent, bien lissés au kvass, pendaient en mèches raides et immobiles; ses petits yeux bruns clignaient aimablement; tout son visage, enveloppé d’un foulard noir, comme s’il avait eu mal aux dents, souriait avec affabilité. […] 

– Pourquoi portez-vous ce foulard ? lui demandai-je. Auriez-vous mal aux dents ?

– Non, répondit-il, c’est le fâcheux souvenir d’une imprudence. J’avais un ami, un fort brave garcon, mais pas du tout chasseur, comme il s’en trouve parfois. Un jour il me dit: "Mon cher, emmène-moi donc à la chasse; je serais curieux de voir en quoi consiste cet amusement." Bien entendu, je ne pouvais refuser cela à un camarade; je lui procurai un fusil et le pris avec moi. Après avoir chassé un certain temps, nous décidames de nous reposer. Je m’assis sous un arbre, tandis qu’il s’amusait à faire l’exercice; il tenait son fusil braqué sur moi. Je le priai de finir; mais dans son inexpérience, il ne m’écouta pas; le coup partit et m’enleva le menton, ainsi que l’index de la main droite. »

Ivan Tourgueniev, « Lgov » (1847), in Mémoires d’un chasseur,
traduit du russe par Henri Mongault, Gallimard, 1953.

tourgueniev

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