Lectures pour tous : Haruki Murakami
« Le soir commençait à tomber quand un énorme chien noir s'approcha de Nakata.
« L'animal était apparu brusquement dans le terrain vague, sans bruit. Il était si grand que Nakata, en levant la tête vers lui depuis l'endroit où il était assis, eut l'impression de voir un veau approcher plutôt qu'un chien. Il avait de longues pattes et le poil ras, des muscles saillants qui semblaient durs comme l'acier, des oreilles pointues, de vraies lames de couteau, et il ne portait pas de collier. Nakata ne s'y connaissait pas bien en races de chien, mais un simple coup d'oeil sur cette bête suffisait pour comprendre qu'il s'agissait d'un chien méchant, ou du moins qui pouvait le devenir si nécessaire. Le genre de chien qu'on utilisait dans l'armée ou la police.
« Son regard était perçant mais inexpressif et on apercevait derrière ses grosses bajoues des crocs blancs et acérés. Il avait des traces de sang sur les babines, et si on regardait bien, des bouts de viande semblaient même collés çà et là sur son museau. Une langue rouge apparaissait par moments d'entre ses crocs telle une flamme. Ce chien regarda longtemps Nakata de ses petits yeux fixes, en silence, sans bouger. Nakata ne disait rien, lui non plus. Il ne connaissait pas le langage des chiens de toute façon. Le regard du chien était glacial et trouble, on aurait dit des billes congelées au fond d'un marécage.
« Nakata respirait lentement, par saccades, mais il n'avait pas peur. il comprenait naturellement qu'il était confronté à un danger et qu'il avait en face de lui une créature agressive et hostile (même s'il ne savait pas pourquoi). Cependant, il ne pensait pas qu'un danger s'apprêtait à s'abattre sur lui. [...]
- Lève-toi, lui dit le chien. »
Haruki Murakami, Kafka sur le rivage , 2003.
Traduit du japonais par Corine Atlan, Belfond (2006)
la couverture originale