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7 juillet 2012

Annulation du visa d'exploitation d'Antichrist. Bonne nouvelle ?

Chronique « Renvoyez la censure », par Christophe Triollet, sur Cinéfantastique (7/7/2012)

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Antichrist interdit en salles... Une bonne nouvelle ?

par Christophe Triollet

Le visa d’exploitation du film Antichrist (2009) de Lars von Trier vient d’être annulé par le Conseil d’État. Le juge administratif estime en effet que la décision d’interdiction aux mineurs de 16 ans prise par le ministre de la Culture en novembre 2010 n’était pas suffisamment motivée. Le film, sans visa d’exploitation, se retrouve aujourd’hui de facto interdit d’exploitation en salles jusqu’à la nouvelle décision de classement du ministre. Malgré les apparences, la décision du juge est une bonne nouvelle. Explications...

Rappel de l’histoire du visa d’Antichrist

En juin 2009, le ministre de la Culture suit l’avis de la Commission et interdit le film de Lars von Trier aux mineurs de 16 ans en raison de son "climat de violence". Contestant cette décision, les associations Promouvoir et Action pour la dignité humaine forment un recours devant le Conseil d’État. Le juge fait droit à leur demande et annule le visa ministériel en novembre 2010 estimant que le ministre n’avait pas assez motivé sa décision en ne précisant pas en quoi cette violence justifiait une telle interdiction.

Dès le lendemain, Frédéric Mitterrand signe une nouvelle interdiction aux mineurs de 16 ans, justifiant sa décision par "quelques brèves scènes de sexe non simulées tandis que d’autres séquences traduisent la violence des rapports entre les deux personnages".

En janvier 2010, Promouvoir et Action pour la dignité humaine contestent la nouvelle décision du ministre. Le 29 juin 2012, le Conseil d’État annule pour la seconde fois la décision ministérielle de classement expliquant que l’interdiction aux mineurs de 16 ans est toujours insuffisamment motivée, la violence visée par la décision n’étant pas clairement expliquée. Sans visa, Antichrist est interdit de projection dans les salles françaises.

Les enseignements de la décision du Conseil d’État

La décision du Conseil d’État est une bonne nouvelle. Si le ministre doit obligatoirement motiver une décision d’interdiction, le juge administratif ajoute que la motivation doit être suffisamment précise. Pour Antichrist, le juge explique que le ministre doit justifier en quoi la violence visée impose une restriction de représentation aux mineurs de 16 ans. Ce qu’il lui avait déjà demandé, en vain, en 2010.

En outre, le Conseil d’État affirme qu’il appartient à la Commission de proposer un avis complet et détaillé permettant au ministre de prendre sa décision "au regard des nécessités de la protection de l’enfance et de la jeunesse, du respect de la dignité humaine et de la liberté d’expression" dont il a la charge. Le ministre aurait-il dû mentionner, comme l’a fait l’association Promouvoir dans sa requête, "la masturbation sanglante de l’acteur par l’actrice, ou le sectionnement avec une vieille paire de ciseaux du clitoris de l’actrice par elle-même, filmées en gros plan" ?

La décision du Conseil d’État permettra sans doute aux professionnels du cinéma et aux juristes de mieux comprendre la différence entre un film violent (interdit aux moins de 12 ans), un film de grande violence (interdit aux moins de 16 ans), un film de très grande violence (interdit aux moins de 18 ans) et un film classé X pour incitation à la violence.

De la même manière, sommes-nous dorénavant en droit d’attendre que le ministre nous explique la différence entre un film comportant des scènes de sexe non simulées (interdit aux mineurs de 16 ans), un film comportant des scènes de sexe non simulées mais qui, par la manière dont elles sont filmées et la nature du thème traité, ne justifient pas une inscription sur la liste des films X (interdit aux moins de 18 ans) et un film à caractère pornographique (interdit aux moins de 18 ans et classé X). La Commission nous livrera-t-elle des définitions qu’elle a toujours refusées de donner jusqu’alors ?

Aujourd’hui, le juge confirmerait-il l’interdiction aux mineurs de 16 ans attribuée à Sleeping Beauty (2011) de Julia Leigh, l’interdiction aux moins de 18 ans accolée au film de Raphaël Siboni Il n’y a pas de rapport sexuel (2012) ? Le ministre devra-t-il désormais expliquer pourquoi tel film comportant "une scène de sexe non simulée" est interdit aux mineurs de 16 ans (Le Pornographe (2001) de Bertrand Bonello) et pourquoi tel autre comportant "une scène particulièrement crue de sexe explicite non simulée" est interdit aux moins de 18 ans (Ken Park (2002) de Larry Clark) ? La Commission de classification devra-t-elle dorénavant viser telle scène de sodomie et telle autre de fellation pour justifier sa proposition de classement X (Histoire de sexe(s) (2009) de Ovidie et Jack Tyler) ? La récente décision du Conseil d’État peut nous le laisser penser...

Une décision protectrice de la liberté d’expression

En janvier 1975, le juge administratif acceptait d’exercer un contrôle normal sur la décision ministérielle de classement d’un film (à propos du film Suzanne Simonin, la religieuse de Diderot (1966) de Jacques Rivette) considérant pour la première fois le cinéma au titre des libertés publiques. Presque 40 ans plus tard, il demande au ministre de motiver réellement chacune de ses décisions d’interdiction.

Incontestablement un pas en avant en faveur des libertés d’expression et de création... même si en novembre 2008, le Conseil d’État confirmait la décision ministérielle d’interdiction aux mineurs de 18 ans du film Quand l’embryon part braconner (1966) de Kōji Wakamatsu, estimant que "ce film comporte, par la représentation d’une rencontre banale entre un homme et une femme, de nombreuses scènes de torture et de sadisme d’une grande violence physique et psychologique, et présente une image des relations entre les sexes fondée sur la séquestration, l’humiliation et l’avilissement du personnage féminin, dont la mise en scène est de nature à heurter la sensibilité des mineurs".

PS : Précisons que la décision du Conseil d’Etat ne remet pas en question l’exploitation du film en DVD. 

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