Annie Le Brun : Meckert vs. Céline
Dans un entretien recueilli à l'occasion de l'édition (déjà mentionnée ICI) de plusieurs livres de Jean Meckert [alias Jean Amila], Annie Le Brun célèbre l'écrivain dont Jean-Jacques Pauvert lui fit jadis rencontrer l'oeuvre. [« Chez [Merckert], la révolte s'enracine toujours dans l'enfance, pour puiser sa violence dans l'injure que le monde comme il va ne cesse de faire à ce qui y a été rêvé. »] Interrogée sur un possible "parallèle", sous prétexte d'un usage commun d'une langue populaire, entre l'homme des Coups et Louis-Ferdinand Céline, elle oppose le "cabotinage" de l'un à la "pensée pure" de l'autre, l'ignominie de Céline au refus farouche de la domestication sociale de Meckert. Annie, on vous aime. Forever.
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« Au premier abord, il est tentant de rapprocher l’un de l’autre [Meckert et Céline, ndT]. Il s’agit souvent du même milieu et la violence de ce qui est évoqué de part et d’autre y incite. Pourtant, c’est l'inverse. Je verrais même dans Meckert l’antidote de Céline. Au cabotinage littéraire de celui-ci, on peut opposer Meckert toujours en quête d’une lumière absolument sans effet pour dire l’émotion ou plus exactement la "pensée nue" dont il parle. D’autant que son corollaire est une dimension politique essentiellement libertaire, à l’antipode de l’ignominie d’un Céline et de sa complaisance pour ce qui amoindrit, avilit et anéantit les êtres. Justement ce que Meckert refuse avec une détermination farouche qui fait penser à celle de Georges Darien (1862-1921) et qui est l'objet de sa révolte, préoccupé de discerner le poison partout où il est à l’œuvre, comme ses effets favorisant la domestication sociale. Ainsi est-ce au bord du désespoir qu’il commence dans son premier livre par en mesurer les dégâts, jusque dans l'amour: "Il faudrait que je raconte ça comme un lointain voyage, maintenant que tout cela est flétri et sanglant et que j’en ai le cœur oppressé comme si j’étais descendu au septième dessous."
« D’où la nécessité vitale de cette lutte sans merci que Meckert va mener contre ce qu’il appelle la vulgarité, se confondant pour lui avec les comportements appris dont l’attrait est de masquer ce que chaque être consent à perdre de sa singularité. D’où la violence liée à l’importance de l’enjeu: "Tout comme on est contraint à faire la révolution lorsque les mots, les échanges et finalement l'existence ont perdu tout leur sens profond pour sombrer dans la vulgarité des idées couramment reçues et trop rarement ressenties."
« Insurrection du sens dont on n’a pas encore évalué la véritable portée. Et, dans l’impasse où nous sommes, l’actuelle redécouverte de Meckert ne renvoie-t-elle pas à l’urgence de trouver, pour changer la vie, d’autres poids et mesures ? »
Annie Le Brun ("Meckert est l'antidote de Céline", entretien avec Julie Clarini), Le Monde