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30 juillet 2013

Pourquoi les films d'Eustache sont peu visibles, par Boris Eustache

Petite histoire (inachevée) d'une diffusion
[déposé sur Facebook par Boris Eustache, le 29 juillet 2013 à 23:25]

Histoire de diffusion d'un film

 

Certains se sont mis en tête que j'empêche, voire que j'interdis la diffusion des films de mon père.

Ceux qui ne m'insultent pas s'imaginent que je suis directeur de salles ou programmateur de chaîne de télé, et que je dispose de ces modes de diffusion selon mon bon plaisir (ou plutôt selon le leur).

~

À sa sortie, en 1973, La maman et la putain fait environ 350 000 entrées en France, dont 90 000 à Paris (Mes petites amoureuses en fera 50 000 à Paris et qu'on parlera "d'échec cuisant".)

En 1975, suite à la faillite de la société de production de La maman et la putain (et de Mes petites amoureuses), mon père en a interdit toute diffusion.

(Précisons qu'il avait depuis plusieurs années non seulement interdit les projections de son premier film: Les mauvaises fréquentations (titre de la copie 16mm), Du côté de Robinson (titre de la copie 35mm), mais l'avait même retiré de sa filmographie. Je n'ai pas tenu compte de cette lubie, sinon aucun d'entre vous - sauf ceux nés avant 1950 - ne connaîtriez ce film.)

De 1975 à 1982, très rares sont les personnes qui ont pu voir La maman et la putain. Début 1980, j'avais organisé à la cinémathèque Chaillot une projection pour Lotte H. Eisner qui m'avait dit qu'elle aimerait le revoir.

En 1982, Frédéric Mitterrand m'a proposé de ressortir La maman et la putain en salles. Certains problèmes sur les droits du film n'étaient pas résolus. Mais, ceux liés à la faillite de la société de production étant réglés, j'ai considéré que l'interdiction décrétée par mon père n'avait plus lieu d'être. J'ai conseillé à Frédéric Mitterrand de ne pas faire de publicité, inutile pour ce film. Il en a fait (par exemple en créant l'affiche sur laquelle figurent les trois personnages et que beaucoup prennent pour l'affiche originale) et cette exploitation m'a rapporté 700 francs à partager avec mon frère.

Frédéric Mitterrand n'est pas le seul à avoir fait une erreur, j'en ai fait une aussi, et une belle. Mon père m'avait dit que si un jour il ressortait ce film, il en enlèverait une scène qu'il trouvait ratée. J'ai demandé la permission de respecter sa volonté, Frédéric Mitterrand me l'a accordée et j'ai fait supprimer cette scène du négatif. Mon père était mort peu de temps avant et j'avais encore la tête dans le cul. (Il m'avait dit la même chose d'un plan de Mes petites amoureuses et de quelques images de la deuxième Rosière, mais quand il a été question d'amputer ces deux films, du temps avait passé et, ma tête mieux en place, je me suis dit que quelles qu'avaient été ses paroles, il n'avait qu'à rester en vie s'il voulait modifier ses films.) Si un jour La maman et la putain est numérisé, je réintroduirai cette scène que j'ai conservée sur une copie d'époque.

Après cette sortie de 1982, qui n'a pas été un franc succès (je crois me souvenir que c'était de l'ordre de 10.000 entrées, mais il faudrait vérifier), le film a trouvé une distribution de croisière: festivals, cinémathèques.

Aux alentours de 1986-87, Les éditions des cahiers du cinéma ont enfin accepté d'en éditer le scénario (comme mon père l'avait souhaité, c'est-à-dire uniquement les scènes apparaissant dans le film. Souhait dont je n'ai plus tenu compte pour la réédition, une quinzaine d'années plus tard, en ajoutant deux scènes non filmées - ou non montées).

C'est en 1990 que cette édition va offrir une nouvelle existence au film. Après avoir lu le livre, Jean-Louis Martinelli a souhaité l'adapter au théâtre. Après un dialogue proche de l'absurde sur une banquette du Train bleu, j'ai accepté. C'est à ce moment que tout a changé. Les quinze personnes restées fidèles à ce film depuis sa sortie initiale ont été rejointes par une flopée d'individus penseurs-du-cinéma qui, sans avoir jamais vu le film, le trouvaient désormais génial.

(Petite précision: une partie de ces penseurs-du-cinéma ne l'ont toujours pas vu. On les repère facilement. Certains d'entre eux écrivent que Jean Eustache apparaît au début du film; d'autres parlent de travelling dans des scènes d'intérieur; d'autres encore affirment que le personnage interprété par Jacques Renard s'appelle "Charles"; etc.)

C'est aussi à cette période que l'idée que ce film "représente son époque" s'impose. Bien sûr, une ou deux personnes l'avait eue auparavant, mais la majorité pensait le contraire (objectivement, comment lui donner tort ?).

Je ne cherche pas à me dédouaner, mais entre 1988 et 1996 l'héritage s'est ainsi divisé: je m'occupais de l'édition et du théâtre, et mon frère s'occupait des films. Suite à quelques désaccords, il ne s'est plus occupé de rien à partir de 1996. Juste avant, il avait vendu les droits vidéo au Japon en leur procurant des copies dégueulasses (surtout celle de La maman et la putain).

En 1996, Canal+ diffuse le film.

En 1997, avec Jacques le Glou, nous organisons une rétrospective pour le festival d'Angers 98. Là, les jeunes des Cahiers découvrent ces films (rappelons pour la petite histoire que les Cahiers ne s'étaient intéressés ni à La maman et la putain, ni à Mes petites amoureuses au moment de leur sortie. Ils se sont mis à parler des films de Jean Eustache en 1977, au moment d'Une sale histoire, croyant qu'il s'agissait d'un film à la fois intellectuel et sectaire. Idem pour La rosière de Pessac 79).

Puis la rétrospective s'est poursuivie au St André des Arts de Roger Diamantis. J'avais conseillé de diffuser tous les films dans une seule salle: un film par jour, avec les "meilleurs" films les jours de plus grande audience. Une fois n'est pas coutume, on m'avait écouté. Ce fut un franc succès, qui étonna même Diamantis. Comme après deux semaines d'exploitation, La maman et la putain marchait mieux que les autres films (tu m'étonnes !), le Glou et Diamantis ont décidé de changer la programmation: La maman et la putain dans une salle et le reste des films dans une autre. Flop intégral. La rétrospective s'achèvera la semaine suivante.

Ne croyez pas que je me considère plus intelligent que ces gens-là dont c'était le métier. Simplement je me souvenais d'un mot de mon père: "locomotive". Et je savais (comme tout le monde) quel film était la "locomotive" et que quand on souhaite que le train avance, on ne la sépare pas de ses wagons. Ma réflexion s'arrêtait là: une vague idée de ce qu'aurait pu être la vision de mon père, associée à un mot prononcé peut-être à une autre occasion et en parlant de tout autre chose.

En 2000, Arte diffuse à son tour ce film.

Un ou deux ans après, Jacques le Glou (sans en parler à personne) vend les droits à une chaîne de cinéma du câble.

Fin 2006, Beaubourg me contacte pour organiser une rétrospective dans laquelle nous décidons de "tout" projeter. Tous les films que Jean a signés (inclus celui qu'il a à peine commencé), ceux qu'il a faits pour la télé, ainsi que ceux dont il a uniquement fait le montage. La rétrospective a duré un mois. Il a fallu parfois refuser du monde. Puis elle a tourné en France et à l'étranger pendant cinq ans.

Depuis ? Aucune chaîne n'en a voulu. ARTE ne voulait pas en entendre parler un mois avant le décès de Bernadette Lafont.

Les salles ? Elles se numérisent et une copie 2K (ou 4K) coûte une fortune. Ensuite il faut, à chaque projection, payer la location du projecteur (genre 500 euros, selon certaines sources).

Les amoureux peuvent aller le voir sur une copie argentique une ou deux fois par an à la cinémathèque Bercy.

Aujourd'hui (29 juillet 2013), vous avez pu l'enregistrer sur ARTE. La copie numérique est mauvaise. Elle avait été faite par Jacques le Glou en 1998 qui n'avait pas daigné, contrairement à ce qu'il s'était engagé à faire, contacter Pierre Lhomme pour superviser cette numérisation.

(à suivre)

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