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le vieux monde qui n'en finit pas
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11 septembre 2013

Lectures pour tous : Laura Kasischke

laura kasischke

« Pour la première fois de sa vie, dans son cercueil, il avait l’air en colère. C’était à cause de ses sourcils, qui étaient retombés et s’étaient détendus dans la mort. Quand il était vivant, il les levait toujours, dans une expression de modeste confusion, comme s’il s’apprêtait à dire: « Je suis désolé » [...] Mais, dans ce cercueil blanc, vêtu de son costume bleu, les mains cireuses croisées sur son ventre, les yeux fermés, avec cette nouvelle expression, mon père n’avait plus du tout l’air de celui qui nous pardonnait à tous. On aurait dit un homme dont on aurait pu avoir un peu peur s’il avait été vivant. Quelqu’un qui était mort en ramassant de la neige, après l’avoir fait toute sa longue vie, et qui en avait finalement conçu de l’amertume. Quand le révérend Roberts eut terminé ce qu’il avait à dire sur la poussière qui redevenait poussière, la mère de Rick m’a serré l’épaule, tout en essayant de voir au-delà du rebord brillant du cercueil, ce coffre à trésor plein de la mort de mon père. L’église était décorée de houx et de guirlandes rouges de Noël, elle sentait l’aiguille de sapin et la cire fondue. Seuls les deux premiers rangs étaient occupés, par les oncles, les tantes, les cousins et les petits-cousins de Rick, par sa grand-mère, aussi – qui était elle-même déjà un squelette, cassée sur une canne d’argent, et qui ressemblait à une chauve-souris momifiée: fragile, avec ses petites ailes noires repliées autour d’elle. Elle souriait de manière extatique chaque fois qu’elle croisait mon regard, agitant ses doigts osseux dans l’air, comme si elle entendait ainsi imiter la neige qui tombe – très vite et par flocons éparpillés. »

Laura Kasischke, À Suspicious River, 1996, trad. Anne Wicke, Christian Bourgois (1999)

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