Vodka et venin pour les purs-sangs
En injectant aux chevaux de course vodka et venin de vipère,
on augmentait considérablement leurs prouesses
[source : Le Monde]
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François Bon (le tiers livre) :
« On pouvait trouver ça proprement scandaleux: les chevaux s’écrasaient et mouraient en pleine course, ou bien on les amenait à l’abattoir sitôt la course faite. Et tout ça c’était des gens très bien, des prix monstrueux pour les bestiaux achetés et revendus, plus ce qu’on gagnait sur les paris et ce qu’on en truquait, il fallait faire la péréquation de l’ensemble, et tant pis pour les dégâts collatéraux. Le mélange en tout cas était indétectable: vodka, antidouleur, et venin de vipère ou de crapaud comme on lisait dans les manuels de sorcellerie populaire du XVIIe siècle. Et allez dire qu’un cheval écarquille les yeux, quand, saoul pour la seule et unique fois de sa vie, paniqué par ce qui le dévore de l’intérieur, il s’enfuit droit devant pour ce qu’il ne sait pas sa toute dernière course. On n’allait quand même pas en faire un problème politique avec Dubaï.
« On faisait ça aux hommes depuis si longtemps: chaque fois qu’il y eut bataille, individuelle ou collective. On s’est toujours accommodé de la transe, on a toujours su comment la provoquer. Et que ça mourait au bout. Peut-être même que les nouvelles mythologies, la guitare, les voitures, le sport extrême en dérivaient. Peut-être que le goût des drogues l’excès qu’elles permettent en héritait aussi. Reste qu’on se devait d’essayer ça: si ça marchait pour les chevaux, pourquoi pas sur nous ? C’était même peut-être une solution à l’alcoolisme de masse, la bière sur le trottoir des villes, l’abrutissement vomitoire des étudiants le jeudi soir, comme une solution à ces produits dont le commerce envahissait dès la nuit tombée les chicanes entre villes et routes. Restait à se procurer les vipères, les crapauds. Les analgésiques c’était facile. Quant à la vodka, les supermarchés vous l’auraient donnée. Tout tenait à la nouveauté: en intraveineuse. Le monde du cheval venait de donner de nouvelles idées au délire des hommes. »
François Bon