Nos films préférés en 2013 : Jean-Pierre Bouyxou
Rien noté d’exaltant parmi les (rares) nouveautés de l’année sur lesquelles j’ai eu le courage de jeter un coup d’oeil – et surtout pas l’affligeant naveton de Noémie Lvovsky, Camille redouble, ni le putassier Borgman d’Alex Van Warmerdam (qui confirme, une décennie après Les Habitants, toutes les réserves qu’inspirait déjà ce film: ça commence par intriguer, par séduire, puis tout se gâte à grande vitesse quand on constate que la mécanique fonctionne à vide et qu’il s’agit de poudre aux yeux, sans propos ni véritable style, par simple addition du n’importe quoi et du n’importe comment).
Disons que je n’ai pas détesté Django Unchained, sans pour autant le placer très haut dans la filmographie tarantinienne, que je ne nie pas quelques petites qualités (ni plusieurs défauts énormes) à Au nom du fils, de Vincent Lannoo, que je ne me suis pas trop enquiquiné en regardant My Sweet Pepper Land, de Hiner Saleem, qui parvient presque à se hisser au niveau d’un western italien basique des années soixante-dix, et que j’ai été vaguement ému par deux ou trois séquences de Punk Syndrome, de Jani Patteri Pass et Jukka Kaikkaïnen, tout en pestant contre l’élimination de toutes les touches subversives qu’appelait le sujet.
Workers
Ah ouais, mince ! j’allais oublier Workers, de José Luis Vallé, bizarre production mexicaine au confluent du mélodrame, du film d’humour macabre, du pamphlet social et du post-godardisme. Ça évoque à la fois – et de façon lointaine – le Jean-Louis Jorge des Serpents de la lune des pirates, le Tanner de La Salamandre et le Lajournade de La Fin des Pyrénées, avec une pincée de Buñuel. C’est imparfait, longuet, un peu chiant par moments, mais globalement fascinant – avec un long plan-séquence en caméra fixe, sur un bout de trottoir, tout à fait génial. Il ne s’y passe apparemment rien et, en fait, il s’y passe mille choses: la vie.
Précisons que les extraits de La Vénus à la fourrure aperçus à la téloche m’ont davantage donné envie de revoir la version de Jess Franco (voire celle, pourtant médiocrissime, de Massimo Dallamano) que de visionner celle de tonton Polanski, dont le pompiérisme prétentiard et étriqué éclate comme une évidence à chaque image, et que je n’ai pas encore vu Nos héros sont morts ce soir, de David Perrault, dont on m’a dit pis que pendre mais dont le thème m’émoustille.
Finalement, fors les vieilleries que j’ai (re)découvertes en dévédé, sur le câble ou dans les festivals, et dont je ne me lasse point, je ne trouve qu’un seul titre, outre Workers, à marquer d’une pierre rouge (ou noire, ou verte, ou caca d’oie, ou tout ce que vous voudrez): La Fabuleuse Histoire de la Paravision, un documentaire de 58 minutes, signé Lilian Bathelot et Renée Garaud, projeté – comme le film de José Luis Vallé – au Fifigrot (Festival international du Film grolandais de Toulouse). Ce n’est pas une œuvre magistrale, loin s’en faut, mais on s’en fout. Ça parle, sans une once de condescendance ni de dérision, d’un certain Guy Brunet, un cinéaste cinéphile complètement azimuté qu’on peut apparenter à l’art naïf ou à l’art brut. Ce gars est au cinéma ce que le facteur Cheval a été à l’architecture. Impossible de parler en quelques lignes de lui et de ses films (qu’il réalise seul, sans acteurs ni techniciens, avec des figurines en carton découpé et un caméscope pourringue, dans son patelin gersois): il faudrait des pages et des pages pour dire leur beauté, leur pureté, leur poésie, leur drôlerie. Quoique beaucoup trop chiche en extraits, le doc de Bathelot et Garaud parvient à en exprimer la fulgurance. Réjouissez-vous, j’ai appris qu’il allait bientôt passer sur Canal + (ou sur Arte, je ne sais plus, va falloir éplucher les programmes de Télérama). Ne ratez pas ça, en attendant qu’une cinémathèque ou un éditeur vidéo (on peut toujours rêver !) se décide à présenter les films de Brunet eux-mêmes, qui dorment, inédits, dans leurs boîtes. Le bougre est réticent pour les monter, mais je suis arrivé à en zyeuter quelques-uns. Ils comptent parmi ce que j’ai vu de plus sidérant dans ma longue et riche carrière d’amateur de curiosités.
PS. Les circonstances ne m’ont pas encore permis de voir le Wakamatsu (25 novembre 1970 : le jour où Mishima choisit son destin), dont j’attends beaucoup.
Au dernier Fifigrot (ici, entre Benoît Delépine et Jean-Pierre Bouyxou), Guy Brunet reçoit le prix Grollywood (créé pour la circonstance)
« pour sa contribution au bonheur universel ».