Dernier chapitre, de Gérard Lambert-Ullmann
Un peu plus d’un an après la fermeture de sa librairie nazairienne, le tenancier de Voix au chapitre, plusieurs fois cité ici même, publie un petit livre de souvenirs. Avec pas mal d’humour et un peu d’amertume (ou l’inverse), Gérard Lambert revient sur les dix-huit années passées derrière son comptoir. De bons souvenirs, des amitiés et des passions vitales, beaucoup de désillusions et d’ironie. À sa lecture, quelques professionnels du Livre et de la Phynance riront canari, les béotiens lèveront les yeux au ciel. Pour nous, c'est un livre du premier intérêt. Le système du fric roi, de la dématérialisation de la culture et du marketing forcené condamne irrévocablement la librairie indépendante, ce n’est un secret pour personne. Gérard n’omet pas d’ajouter que si les Fwançais montraient un peu plus de goût pour la lecture, quelques espoirs, pourtant, seraient permis. Pas demain la veille.
[Rappel. Mettons de côté les livres pour les lardons, la sacrosainte bédé, le scolaire et quelques dizaines de best-sellers annuels, souvent écrits avec un peigne : les chiffres poursuivent leur chute libre.]
Nonobstant, deux occasions, en des lieux choisis, nous sont offertes de boire un gorgeon avec Gérard Lambert et de porter des toasts à la littérature.
Le 18 mars à partir de 18h00, ça se passera à la librairie coopérative L’Embarcadère, 41 avenue de la Rèp.
Le 1er avril à partir de 17h00, ce sera au salon de thé/livres d’occasion/épicerie fine Au pré vert, 30 rue du Maine.
S'il ne pleut pas, nous y viendrons sans doute, en voisins.
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Gérard Lambert-Ullmann, Dernier chapitre, éditions joca-seria (Nantes, 2014)
Extraits
« Comment reconnaître le vrai poète dans une librairie? C’est celui qui, annonçant qu’il cherche un opuscule obscur d’un illustre inconnu, sort des rayons vingt ou trente titres n’ayant aucun rapport, et sort sans rien acheter, laissant tout en pile dans un coin. »
« Qui n’aime pas lire dit qu’il n’a pas le temps de lire. Qui aime lire dit qu’il n’a jamais assez de temps pour lire. »
« Il me demande si j’ai Les Fleurs du mal en livre de poche, mais d’occasion parce que "Vous comprenez. C’est pour mon fils. Pour l’école. Ça sert une année et on s’en débarrasse après !" »
« Être libraire c’est aussi devoir s’excuser de ne pas avoir le dernier livre de photos sur le Vendée Globe, et essayer d’expliquer pourquoi on n’a pas "tout Blanchot" pour l’allumée anorexique qui le cherche de toute urgence. »
« C’est un grand marin et un grand dessinateur. Non, pas celui auquel vous pensez tout de suite, qui a gagné des compètes de voile et qui, chaque année, envahit les librairies de ses livres, calendriers, cartes postales, T-shirts, culottes, etc. Non, celui, beaucoup plus modeste et discret, qui fut, dit-on, son mentor à ses débuts, et qui paisiblement n’essaie pas de faire ombrage à celui qui lui en a fait beaucoup. Je l’invite à la librairie après une journée un peu arrosée, sans quoi il n’aurait peut-être pas accepté car il n’aime pas ces machins-là. Je suis content car il est vraiment de la trempe d’hommes que j’ai envie de faire connaître, et il vient, en plus, de sortir un livre magnifique sur les outils de sa passion. Dans la salle, il y a inévitablement quelques gens qui se veulent de mer. Et leurs questions ont plus pour but de les faire mousser que de s’intéresser à ce qu’il peut dire. Un d’entre eux lui reproche d’être trop modeste en parlant de ses exploits. Moi, dit-il, qui ai un peu navigué, je sais de quoi je parle. "C’est curieux réplique mon marin magnifique. J’ai fréquenté les pêcheurs du Brésil qui naviguaient sur des distances incroyables dans des barcasses avec des voiles en toile de sac. En rentrant au port, après avoir été parfois pas mal secoués, ils ne parlaient pas de navigation, mais de nanas, de cachaça, de chansons." Le plaisancier qui voulait se faire plus gros que le spi pique du nez vers ses docksides. »
« Ils passent devant la librairie. "– Ah, tiens, une librairie. Ça aussi, ça devient de plus en plus rare ! – Eh oui, c’est dommage." Sans entrer, ils poursuivent leur chemin. »
« Je suis tout de même assez content de pouvoir dire que mon best-seller, au fil de ces dix-huit années, aura été un livre dont la première édition datait de 1947, dont j’ai vendu quelques centaines d’exemplaires. Des êtres se rencontrent et une douce musique s’élève dans leurs cœurs, du Danois Jens August Schade. Maintenant que je ne suis plus là, l’éditeur pourra mettre le reste du tirage au pilon. »*
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* Comme tu y vas, Gérard. Souhaitons au contraire que le livre de Schade, dont Ivan Chtcheglov a dit tant de bien dans la revue de l’IS (« Le plus grand roman du XXe siècle, et de loin ») demeure longtemps disponible. Traduit par Christian Petersen-Merillac, Des êtres se rencontrent et une douce musique s’élève dans leurs cœurs est sorti en 1947 au Bateau ivre, édition reprise en fac-similé en 1971 par les éditions du Hasard. Il réapparut successivement sous la couverture de Champ Libre, des éditions Gérard Lebovici, puis d’Ivrea. Ce roman, et sa poésie, valurent à Schade (1903-1978), grand prix de l’Académie du Danemark, d’être dans son pays une sorte de monument national.