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le vieux monde qui n'en finit pas
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18 mai 2014

« Une forêt de cyprès à la nuit tombante »

« – Mélodie est partie... Elle t’a attendu... Mais à la fin elle n’en pouvait plus... » [...]

Je m’approche. Je m’accroupis. Je touche sa tête. Elle est tiède. Il y a quinze ans, quand j’ai touché la tête de mon père mort six heures auparavant, elle était glaciale. Je soulève la serviette. Une odeur inconnue monte. Je caresse le corps inanimé de Mélodie qui ressemble toujours à celui que j’ai pris dans mes bras ce matin. Je suis frappé par une vague sensation de chaleur. C’est un corps moitié vivant, déjà dans le royaume de l’ombre, mais toujours tremblotant de restes de vie, d’une vie qui se retire comme la marée basse. Il résiste à l’envahissement implacable du froid.

La pluie s’intensifie de nouveau. Le vent se déchaîne de plus belle.

La musique baroque, celle d’Albinoni ou de Tartini, résonne toujours. Ses yeux ne sont plus comme avant. Ils étaient noirs, grands, tendres, débordants de chaleur et d’affection. Maintenant ils sont gris, petits. Ils ne me regardent plus. Ils sont perdus dans le vide. Brusquement, un abîme s’est creusé entre nous. Ma voix ne parvient plus à ses oreilles. Elle se perd dans le gris froid et saillant de ses prunelles.

Je m’allonge sur le parquet à côté du futon pour être le plus près possible d’elle. Maintenant, ma tête contre sa tête, mon nez contre son nez, je regarde ses yeux éteints marqués par la fatigue et l’épuisement. Je pose ma main droite sur son cou, sur sa truffe, puis sur ses babines, en respirant les derniers vestiges de son souffle. Mon champ de vision est maintenant entièrement occupé par sa tête. Alors, je m’enfonce progressivement dans le puits de ses yeux. Il y a un immense cercle gris éclairé par la bougie. Je suis dans une forêt de cyprès à la nuit tombante. Ou bien suis-je à l’entrée d’un tunnel au coucher du soleil, un tunnel de temps, un corridor qui s’ouvre pour m’emmener loin dans le temps et dans l’espace ? »

Akira Mizubayashi, Mélodie. Chronique d’une passion
Gallimard, « L’un et l’autre », 2013

~

goya

Goya, « Les enfants avec des chiens »

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