Villon en Pléiade vaut mieux que Begbeider n'importe où
Le volume portant le numéro cinq cent quatre-vingt-dix-huit de la « Bibliothèque de la Pléiade » publiée aux éditions Gallimard, papier bible et relié en pleine peau dorée à l’or fin 23 carats, est sorti des presses en octobre. Ces 912 pages jubilatoires orchestrées par Jacqueline Cerquiglini-Toulet et Laëtitia Tabard reprennent (en deux langues) l’œuvre complète de François de Montcorbier, dit Villon (1431-1463) et l’hommage à lui rendu par une cinquantaine de collègues écrivains, philosophes, poètes et illustrateurs, parmi lesquels
Guillaume Crétin
Jean Marot
Gérard de Nerval
Théophile Gautier
Sainte-Beuve
Théodore de Banville
Arthur Rimbaud
« Au gibet noir, manchot aimable,
Dansent, dansent les paladins
Les maigres paladins du diable
Les squelettes de Saladins. »
Bal des pendus, 1870
J.-K. Huysmans
« Je me figure, ô vieux maître, ton visage exsangue, coiffé d’un galeux bicoquet; je me figure ton ventre vague, tes longs bras osseux, tes jambes héronnières enroulées de bas d’un rose louche, étoilé de déchirures, papelonnés d’écailles de boue. » Le Drageoir à épices, 1874
Jean Richepin
« Prince, arbore ton pavillon,
Et tant pis pour qui te renie,
Roi des poètes sans billon,
Escroc, truand, marlou, génie ! »
La Chanson des gueux, 1876
Paul Verlaine
« Avec les yeux d’une tête de mort
Que la lune encore décharne,
Tout mon passé, disons tout mon remord,
Ricane à travers ma lucarne. »
Un pouacre, 1884
Marcel Schwob
Guillaume Apollinaire
« Habitants des cités et vous gens des campagnes,
L’instrument à voler se nomme l’avion.
Cette douce parole eût enchanté Villon,
Les poètes prochains la mettront dans leurs rimes. »
L’Avion, 1910
Francis Carco
Paul Léautaud
« On a aussi recommencé le rapprochement de Rictus avec Villon: la même veine, la même inspiration, le Villon de notre temps. C’est un monde de bêtise. Quand on songe au lyrisme de Villon, à sa pureté, à la sorte d’aristocratie qui s’en dégage, à tout ce grand art de vocabulaire et de rythme, mettre Rictus à côté ? C’est de la littérature pour clochards, ce qu’a écrit Rictus, une littérature même assez répugnante. » Journal littéraire, 23/3/1932
Albert Dubout
Paul Valéry
Blaise Cendrars
Raymond Queneau [Je crains pas ça tellment, 1946, voir ici-bas]
Tristan Tzara
Louis-Ferdinand Céline
Pierre Mac Orlan
Michel Butor
Philippe Sollers
Pierre Michon
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Je crains pas ça tellment la mort de mes entrailles
et la mort de mon nez et celle de mes os
Je crains pas ça tellment moi cette moustiquaille
qu’on baptisa Raymond d’un père dit Queneau
Je crains pas ça tellment où va la bouquinaille
les quais les cabinets la poussière et l’ennui
Je crains pas ça tellment moi qui tant écrivaille
et distille la mort en quelques poésies
Je crains pas ça tellment La nuit se coule douce
entre les bords teigneux des paupières des morts
Elle est douce la nuit caresse d’une rousse
le miel des méridiens des pôles sud et nord
Je crains pas cette nuit Je crains pas le sommeil
absolu Ça doit être aussi lourd que le plomb
aussi sec que la lave aussi noir que le ciel
aussi sourd qu’un mendiant bêlant au coin d’un pont
Je crains bien le malheur le deuil et la souffrance
et l’angoisse et la guigne et l’excès de l’absence
Je crains l’abîme obèse où gît la maladie
et le temps et l’espace et les torts de l’esprit
Mais je crains pas tellment ce lugubre imbécile
qui viendra me cueillir au bout de son curdent
lorsque vaincu j’aurai d’un œil vague et placide
cédé tout mon courage aux rongeurs du présent
Un jour je chanterai Ulysse ou bien Achille
Énée ou bien Didon Quichotte ou bien Pansa
Un jour je chanterai le bonheur des tranquilles
les plaisirs de la pêche ou la paix des villas
Aujourd’hui bien lassé par l’heure qui s’enroule
tournant comme un bourrin tout autour du cadran
permettez mille excuz à ce crâne – une boule –
de susurrer plaintif la chanson du néant
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