Thriller, a cruel picture
Christina Lindberg, l'unique, au repos pendant le tournage de
Thriller. A Cruel Picture (Thriller. En grym film, 1973)
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Une photo de publicité pour le film et le personnage
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et un article d'ambiance comme seul Jean-François sait les trousser, piqué dans le journal d'hier :
La vengeance porte un manteau de cuir et un cache-oeil,
par Jean-François Rauger
Une de ces curiosités qui font la richesse de ce qu’on désigne comme le cinéma d’exploitation des années 1970. Une petite perle de culture underground et trash qui resurgit grâce à l’éditeur de DVD Bach Films. Thriller. Crime à froid est un film à petit budget suédois, longtemps uniquement évoqué par les amateurs de cinéma dit "bis", le genre de film dont on devine que l’influence fut réelle quoique souterraine, dans la mesure où ce type de cinéma a pu passer longtemps sous les radars de la critique et de l’évaluation officielle.
C’était le temps de ces inventions sauvages de figures cruelles et sublimes que permettait un cinéma à la recherche des sensations les plus extrêmes des spectateurs. Thriller. Crime à froid pourrait constituer un des modèles de ce sous-genre dénommé le "rape and revenge" ("viol et vengeance") construit, comme sa dénomination le trahit, sur un schéma narratif assez simple garantissant du sexe et de la violence à celui qui s’aventurerait dans les salles de quartier. Le film est signé Alex Fridolinski, pseudonyme du cinéaste Bo Arne Vibenius qui fut auparavant crédité au générique de L’Heure du loup d’Ingmar Bergman, en 1968, comme assistant, avant de signer un premier film destiné à un public d’enfants. Thriller est le second titre d’une filmographie qui n’en comptera finalement que trois.
Madeleine, une jeune femme muette à la suite d’une agression sexuelle subie lorsqu’elle était enfant, est enlevée par un homme qui la drogue et la rend dépendante à l’héroïne. Elle est désormais contrainte de se prostituer tous les jours en échange de sa dose. Toute tentative de rébellion est cruellement sanctionnée (elle se fait crever un œil après avoir défiguré un client).
Elle fait mine d’accepter sa condition mais s’entraîne durant ses moments libres au karaté, au maniement des armes à feu et à la conduite automobile sportive, dans l’objectif de préparer une vengeance désormais programmée. Dépouillé et sordide, violent et stylisé, dénué de toute musique sinon quelques effets sonores, le film suit ainsi un itinéraire fatal qui culminera dans un jeu de massacre constituant la dernière partie du récit.
Vêtue d’un long manteau de cuir noir, armée d’un fusil à pompe, un œil caché derrière un bandeau sombre, Madeleine devient une sorte de déesse de la vengeance, accomplissant celle-ci au terme d’une chorégraphie létale et onirique provoquée par l’usage du ralenti le plus extrême. Les corps des clients et des maquereaux explosent littéralement, déchiquetés par la chevrotine sous l’assaut de la jeune femme. Tout cela pourrait paraître un peu rudimentaire si l’on devait juger le film à l’aune d’une psychologie traditionnelle. Mais il invente librement sa propre forme. La vengeance d’une jeune fille est une fleur sauvage et vénéneuse poussée au cœur de l’architecture hideuse – l’horreur urbaine des années 1970 – d’une métropole suédoise.
Le rôle principal est tenu, avec une assurance mêlée de fragilité ébouriffante, par Christina Lindberg, starlette du cinéma érotique du début des années 1970. Interrogée dans les suppléments du DVD, elle se définit comme ayant été, à l’époque, utilisée au cinéma, après une carrière de modèle pour magazines de charme, comme "la jeune Suédoise qui enlève ses vêtements". Elle a tourné en Suède, en Allemagne et même au Japon dans une production de la Toei. Thriller. Crime à froid lui aura offert son rôle le plus intense. Il semblerait que Quentin Tarantino se soit inspiré de son personnage pour créer celui d’Elle, la tueuse au bandeau sur l’œil incarnée par Darryl Hannah dans Kill Bill.
Jean-François Rauger
Thriller. Crime à froid. DVD édition Bach Movies.