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22 janvier 2016

Bonnaud, nouveau chef de bande

Le nouveau directeur général de la Cinémathèque française, on l'aime déjà.

« L'actualité, c'est le cinéma, et le cinéma, c'est le monde. J'en sais beaucoup plus sur ce qui vient de se passer à Cologne en regardant un film de Lang ou de Fassbinder qu'en écoutant BFM pendant deux heures. Philippe Garrel dit que les films nous montrent comment faire son lit, comment embrasser une fille... Je pense, comme lui, que le cinéma nous apprend à vivre. » Frédéric Bonnaud, dans un entretien « programmatique » [recueilli par Clarisse Fabre et Aureliano Tonet pour Le Monde]

 ~~~

Pour les non-abonnés au journal, en voici le texte complet.

Sur la porte du bureau, au huitième étage du bâtiment signé Frank Gehry, est encore écrit le nom de Serge Toubiana. Celui qui dirige la Cinémathèque française depuis 2003 quittera son poste le 31 janvier, auréolé d’un bilan unanimement salué. Frédéric Bonnaud, 48 ans, lui succédera alors officiellement. Pour l’instant, les deux hommes cohabitent dans le même espace, avec vue sur le ministère des finances et l’Accor­Hotels Arena (ex-Palais omnisport de Bercy).

Un œil sur les restrictions budgétaires, l’autre sur d’éventuelles expansions vers de nouveaux publics, de nouveaux mécènes. C’est dans cet entre-deux, quelques jours après avoir investi les lieux, que Bonnaud reçoit Le Monde. De fait, il sera beaucoup question, dans l’entretien qu’il nous a accordé, de limites. Avant de tracer les contours de sa ligne éditoriale, Frédéric Bonnaud s’attelle à repenser le cadre – au sens géographique, mais aussi cinéphilique – du "temple" fondé en 1936 par Henri Langlois et Georges Franju, qu’il entend ouvrir à d’autres institutions, d’autres images.

Son profil semble plutôt raccord avec ces ambitions. Cette "grande baraque", que l’on dit bon vivant, habité par le cinéma depuis l’enfance, est le fils de l’historien ­Robert Bonnaud et le frère de la metteure en scène Irène Bonnaud. Homme de réseaux – il a dirigé la rédaction des Inrockuptibles de­ février 2013 à décembre 2015, tout en collaborant à Arte et à Mediapart –, regard acéré, verbe tranchant, le Parisien ne sous-estime pas l’ampleur de la tâche. "Je suis très impressionné", nous dit-il d’emblée, en synchronisant le ­balancement de son buste au roulement de sa chaise – vieux réflexe d’homme de radio. Du reste, il promet, dans le même geste, de ne pas rompre avec l’impertinence qu’il exprimait dans ses émissions sur France Inter, "Charivari" (2003-2006) ou "La Bande à Bonnaud" (2006-2007).

Comment passe-t-on de la ­direction des  Inrockuptibles à celle de la Cinémathèque française ?

C’était au début du mois de juillet 2015, j’étais à Bologne, pour la 29e édition du festival du film de patrimoine, Il Cinema Ritrovato. J’apprends que Serge Toubiana quitte la Cinémathèque. Je rêvais de cette maison… Mais je m’apprêtais à célébrer les 30  ans des Inrocks. Serge Toubiana m’a dit: "C’est maintenant ! Un train comme celui-là ne repassera pas avant des années." Le cinéma me manquait. Ce que je préfère au monde, c’est regarder des films, de 10h00 du matin à 22h00 le soir. Pour être honnête, j’avais davantage envie de transmettre cette passion que de couvrir l’élection présidentielle… J’ai donc changé de métier.

Qui vous a choisi  ?

La Cinémathèque est une association. C’est donc son président, Costa-Gavras, qui m’a nommé directeur. J’ai très envie de travailler avec lui. J’apprécie l’homme, j’aime ses films. Il faut savoir que c’est lui qui a obtenu de Jack Lang, quand il était ministre de la culture, le "plan nitrate" pour la sauvegarde des films, en 1991.

D’où vient votre goût pour le cinéma ?

De la télévision. J’ai eu des parents cinéphiles, qui m’emmenaient voir des films, en salles. Mais c’est à la télé que j’ai découvert Psychose, ainsi que les westerns de John Ford, en version française. ­Ensuite, j’ai construit ma cinéphilie dans les ciné-clubs parisiens, en marge de mes études de cinéma, à la fac.

Mon premier CDD, je l’ai signé à la Cinémathèque, au début des années 1990, du temps où elle se trouvait à Chaillot, avec trois bureaux dans lesquels personne ne voulait aller. J’étais le grouillot, je faisais visionner des films à des chercheurs. J’avais l’impression d’être un moinillon de province, et d’arriver à Rome. Puis c’est là qu’on m’a proposé, un jour, d’écrire pour Les Inrocks. Je suis alors devenu critique de cinéma.

Dans quel état retrouvez-vous, trente plus tard, la Cinémathèque ?

Je suis très impressionné… C’est devenu un véritable musée du cinéma. Pendant treize ans, Serge a accompli un travail formidable. Il a réussi l’installation à Bercy, pacifié les relations avec la tutelle. Il a transformé un canot en paquebot ! Trois salles de projection, un espace d’exposition, une équipe de 210 personnes, un budget de 28  millions d’euros [dont 19,6 viennent du Centre national du cinéma et de l’image animée, une dotation en légère baisse], une collection de 40 000 films, près de 400 000 visiteurs par an… Je ne connais rien de comparable.

La Cinémathèque possède aussi, dans un hangar tout proche, une collection de plus de 3 000 caméras, projecteurs, etc., que pilote Laurent Mannoni et que je viens de découvrir. On peut y voir la caméra Mitchell qui a été immortalisée dans le générique du Mépris, avec le chef opérateur Raoul Coutard. La dernière personne qui a pu voir cette collection est George Lucas… Mon autre grand privilège, à la Cinémathèque, c’est de pouvoir visionner un film en cabine, comme au temps de Chaillot.

Dans les éditoriaux des Inrockuptibles, vous n’avez pas ménagé vos critiques contre Vincent Bolloré. Or, Vivendi est depuis quelques mois l’un des trois "grands mécènes" de la ­Cinémathèque, avec la fondation Gan et la banque Neuflize…

Il faudrait être très mégalomane pour penser que Frédéric Bonnaud est un problème pour Vincent Bolloré… Vous pensez sérieusement qu’il me dira un jour ce que j’ai à faire ? Si je suis directeur de la rédaction des Inrocks, et qu’on m’alerte sur l’interventionnisme de Vincent Bolloré dans les ­médias, j’écris ce que j’en pense, sans retenir mes coups. Si je suis directeur de la Cinémathèque, et que Vincent Bolloré me propose de cofinancer la restauration de films rares, en direction d’un public qu’on ne touche jamais – l’Afrique, par exemple –, j’accepte, avec enthousiasme. J’ai changé de métier [Frédéric Bonnaud cesse sa collaboration avec Médiapart ; il devrait continuer, en revanche, à animer " Personne ne bouge", sur Arte].

Quelles sont les contreparties à l’apport financier des "grands mécènes" ?

La visibilité. Faire venir Scorsese, ça coûte des dizaines de milliers d’euros. Si des mécènes nous y aident, le moins qu’on puisse faire, c’est de les remercier, en les citant, et de les inviter à un dîner en présence du cinéaste.

Cette demande de visibilité, jusqu’où ira-t-elle ? Le Palais omnisports Paris-Bercy s’appelle aujourd’hui AccorHotels Arena, le festival des Inrockuptibles accole son nom à celui de son partenaire, et certaines salles de patrimoine, comme le Champo, diffusent désormais des spots publicitaires avant les films…

La Cinémathèque française ne changera jamais de nom, il n’y aura jamais quoi que ce soit avant le générique. Je ne fais pas de l’événementiel ; je ne dirige pas un ciné-club, mais un musée du cinéma. Après, j’ai besoin de partenaires pour tenir tous les fils de cette cinéphilie, son côté scientifique, comme son côté glamour.

Ne serez-vous, dès lors, qu’un gardien du temple ?

Il faut prolonger le travail accompli, même si j’ai parfois des pulsions de transgression. Reste à voir si je les réaliserai… Ce qu’il faut réussir, c’est la diffusion hors les murs. La Cinémathèque doit devenir un média. Ainsi, du 3 au 7 février, la 4e édition du festival Toute la mémoire du monde s’organisera avec des lieux partenaires, comme l’Action Christine, le Reflet Médicis, le Méliès à Montreuil ou encore Les Fauvettes [des cinémas Pathé-Gaumont]. N’y voyez pas une tentation hégémonique : j’ai besoin qu’il y ait des salles art et essai à Paris !

Ensuite, il faudra s’atteler à la diffusion en région, où le déficit est évident. Imaginons : si l’on programme 80 films de Raoul Ruiz, on en choisit une vingtaine, et on les fait tourner avec l’Agence pour le développement régional du cinéma, l’association chargée de diffuser des films sur tout le territoire. Il faut avoir l’esprit de mission, et penser que la vision d’un film de John Ford peut changer la vie. Sans évangéliser jusqu’au fin fond de l’Amazonie, il faut faire circuler les films, les expositions, en France, et au-delà.

Quel sera votre slogan ?

Celui de Jean Vilar: élitaire pour tous. Quand on propose une ­quasi-intégrale d’un grand maître coréen, Im Kwon-taek, relativement méconnu en France, c’est bien de monter en parallèle une rétrospective Scorsese, qui remplit les salles. Il faut tenir ces deux fils-là. Notre prochaine exposition, consacrée à Gus Van Sant, fera sans doute moins d’entrées que celle sur Tim Burton, dont les recettes nous avaient permis de restaurer plusieurs films… Nous devons nous permettre des choses que personne d’autre ne fera, d’une part ; et penser, de l’autre, à la formation des jeunes cinéphiles, qui peuvent moins compter sur la télévision ou les salles de répertoire que les générations précédentes. Ce n’est pas sur YouTube qu’ils découvriront La Règle du jeu.

Depuis 2011, la majorité des expositions sont consacrées à des grands noms du cinéma, principalement français et anglo-saxons. Allez-vous revoir cette politique ?

Concernant l’absence de l’Asie, de l’Afrique ou de l’Amérique du Sud, le problème est d’abord scientifique : que montre-t-on ? Si l’on décide de consacrer une exposition à Mizoguchi, suffit-il de montrer un kimono, un scénario et quelques photogrammes? Après, j’aimerais rompre avec ce réflexe très français de l’auteurisme. On fait trop de monographies. Je veux qu’il y ait plus d’expositions transversales. Laurent Manonni prépare, pour octobre, une grande rétrospective sur le matériel cinématographique, qui s’intitulera "La Machine-cinéma": 120  ans d’histoire des projecteurs, des caméras, etc. On tâchera d’éblouir les enfants, avec cette forêt de lumières, et de plaire aux savants.

Les séries télévisées ont-elles leur place à la Cinémathèque ?

Cela fait débat, entre cinéphiles. Pour ma part, je considère que le centre de gravité du cinéma américain s’est déplacé vers les séries. J’en regarde beaucoup, je suis ­accro à certaines d’entre elles. ­David Chase, le créateur des ­Soprano, est mon héros absolu. Si demain il veut présenter certains épisodes, en regard avec ses films noirs préférés, dont nous avons les copies, ici à la Cinémathèque, il est le bienvenu ! Je ne réfléchis pas en termes de pureté ou d’impureté des images. Si j’étais une chaîne de télévision, je lancerais une case " patrimoine", la nuit : on y montrerait tous les Chabrol, tous les Téchiné… La Cinémathèque pourrait s’y associer.

Du Centre Pompidou à ­l’Institut du monde arabe, des établissements bousculent leur programmation, en écho à l’actualité. Vous dites que la Cinémathèque doit devenir un média: viendra-t-on bientôt y débattre ?

On organise des rencontres, pas des débats. Quand on regarde un film, on est son contemporain. L’actualité, c’est le cinéma, et le cinéma, c’est le monde. J’en sais beaucoup plus sur ce qui vient de se passer à Cologne en regardant un film de Lang ou de Fassbinder qu’en écoutant BFM pendant deux heures. Philippe Garrel dit que les films nous montrent comment faire son lit, comment embrasser une fille… Je pense, comme lui, que le cinéma nous apprend à vivre.

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Commentaires
A
Autre chose :<br /> <br /> Vous trouverez ci-après un lien vers une critique de l'ouvrage d'Apostolidès sur Debord :<br /> <br /> http://www.photoceros.com/17-01-2016-gianfranco-sanguinetti-sinsurge-argent-sexe-et-pouvoir-a-propos-dune-fausse-biographie-de-guy-debord/#more-6621<br /> <br /> Cordialement,<br /> <br /> Alexis Renoir
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