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le vieux monde qui n'en finit pas
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23 février 2016

Deux films de Mogherini et Bazzoni

Deux séries B transalpines excentriques

(Jean-François Rauger, pour Le Monde)

 

D’intrépides petites compagnies d’édition de DVD proposent parfois d’obscurs titres, passés souvent sous les radars de l’histoire du cinéma, et voués à sortir, espérons-le, du ghetto dans lequel les a enfermés parfois le tribalisme cinéphilique. C’est le cas du Chat qui fume, qui propose deux films italiens des années 1970, inédits en salles en France, plus ou moins excentriques car entretenant avec leur genre de référence des relations plutôt distendues ou tout le moins légèrement perverses.

C’est ce que l’on pourrait dire de L’Affaire de la fille au pyjama jaune réalisé en 1977. Le cinéma populaire italien est entré dans une phase de décadence dont la curieuse forme narrative adoptée par le film témoigne objectivement. Il est signé de Flavio Mogherini, qui fut surtout décorateur de cinéma mais réalisa une quinzaine de titres, essentiellement des comédies. Situant son action en Australie, adapté paraît-il d’un fait divers, le film prend d’abord la forme d’une enquête policière, avant de voir se dérouler, en parallèle, un autre récit.

Un ambigu et mélodramatique portrait de femme

Un vieil inspecteur de police à la retraite tente de résoudre un crime, le meurtre d’une jeune femme, alors qu’alternativement, le spectateur suit le parcours d’une belle immigrée hollandaise (Dalila di Lazzaro), coincée entre trois amants puis mal mariée avec l’un d’entre eux. Ces deux trames narratives, dont on a l’illusion un moment qu’elles se déploient dans le même temps, vont se dévoiler in fine dans un rapport plus inattendu, un rapport où s’emmêlent, justement, les fils du temps. Derrière les règles de l’investigation policière, se dégage un ambigu et mélodramatique portrait de femme à la fois libre et maudite, condamnée à vivre une descente aux enfers et une chute vers l’abjection la plus désespérée.

En entrecoupant régulièrement son montage d’inserts quasi documentaires, Mogherini accentue le sentiment d’une indifférence opaque du monde aux évènements vécus par la jeune femme, accentuant ainsi la tristesse de son récit. Avec ses deux stars hollywoodiennes sur le retour (Ray Milland et Mel Ferrer) et ses scènes de sexe glauques, L’Affaire de la fille au pyjama jaune apparaît comme une fiction « fin-de-race » qui tire de sa bizarrerie expérimentale et de son désespoir une sorte de folie un peu trash.

Violence et érotisme

Réalisé en 1971, Journée noire pour un bélier semble relever d’un genre plus balisé. Celui du giallo, cette vague de thrillers policiers mêlant violence et érotisme, relancée par le succès de L’Oiseau au plumage de cristal (1970) de Dario Argento. Le film est signé Luigi Bazzoni, attachant réalisateur à qui l’on doit une adaptation de Carmen avec Klaus Kinski, L’Homme, l’Orgueil, la Vengeance en 1967 ainsi que Le Orme, en 1975, autre bizarrerie, avec Florinda Bolkan.

Journée noire pour un bélier reprend strictement les conventions du genre. Un journaliste alcoolique et pugnace incarné par Franco Nero enquête sur une série de meurtres sadiques et sanglants dont la complaisante description vient entrecouper régulièrement le récit. Le milieu décrit est un monde faisandé, celui d’une grande bourgeoisie décadente et turpide. La terreur est distillée avec science et le film culmine cruellement avec la tentative d’assassinat d’un gamin dans une grande maison déserte.

Il ne serait pas injuste de considérer le directeur de la photographie comme le second auteur de Journée noire pour un bélier. Il n’est autre que Vittorio Storaro, alors jeune chef opérateur, ami du cinéaste avec qui il travaillera encore. Storaro avait déjà signé la photographie de L’Oiseau au plumage de cristal, s’apprêtait à faire celle du Dernier Tango à Paris et avait été, selon une interview qui figure en supplément du DVD, approché par Antonioni.

Confusion du noble et du trivial

La composition des plans, l’usage du contre-jour, la miniaturisation de personnages écrasés par l’architecture moderne d’une métropole inhumaine pourraient faciliter le reproche d’un formalisme creux mis au service d’une histoire un peu idiote. Ce serait ne pas comprendre que le giallo, comme forme finalement post-hitchcockienne, voire post-hollywoodienne, a remplacé les enjeux du cinéma classique par la sensation pure et un suspens devenu justement une parfaite aventure formelle.

Le programme mécanique du récit est ici transcendé par la beauté et la sophistication un peu pop des plans. Peu importe si les ressorts psychologiques sont plus que primaires, l’intérêt de ces films (surtout de celui-là) se trouve ailleurs. Dans le geste gratuit et poétique d’une confusion du noble et du trivial. Architecture moderniste et roman-photo.

2 DVD, Editions Le Chat qui fume. Sur le Web : lechatquifumedvd.com

Jean-François Rauger

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