Mati Diop et l'Atlantique
« Une des raisons qui m’ont poussée à écrire ce film [Atlantique] c’est qu’il y avait dans cette situation de vague de migration massive – tous ces jeunes qui ont quitté ces quartiers, qui sont partis en mer et dont certains ont disparu et ne sont jamais revenus – il y avait d’abord cet acte primordial et initial de prendre un bateau et de se confronter à l’océan. J’avais beau comprendre les raisons économiques et pragmatiques du départ, il restait une dimension qui dépassait ma raison. Ce passage à l’acte, le fait de se jeter dans cette immensité qui pour moi est comme une autre planète. C’est une réalité par rapport à laquelle je n’avais plus de mots, par rapport à laquelle ma raison n’opérait plus. Il y a là quelque chose de l’ordre de l’aveuglement.
« Cette immensité, ce désert d’eau sont là, omniprésents autour de ce quartier et renvoie ces femmes – et nous, spectateurs – à un mystère profond. Tout a été rendu à la fois tellement scientifique et abstrait à travers les différents traitements médiatiques de la migration. On en a tellement parlé dans tous les sens en essayant d’expliciter tout mais en même temps en n’explicitant rien, qu’on a presque oublié la part quasi mystique du rapport des Sénégalais à l’océan, la dimension hantée aussi.
« Tous ces fantômes de l’Atlantique générés par une multitude d’histoires, la traite négrière, la colonisation, la façon dont ces différentes tragédies ont rempli l’océan de fantômes. J’ai vraiment voulu filmer cet océan comme un espace fantastique, comme une autre planète, comme un territoire qu’on n’est pas censé traverser, comme un écran de fantasmes et de projections. »
Mati Diop, extrait d’un entretien réalisé à Bruxelles par Philippe Delvosalle.
Atlantique, son premier long métrage, sort sur les écrans belges mercredi prochain.
Qu’on se le dise.