Lectures pour tous : Maurice Maeterlinck
« Ce couple mélancolique, à perpétuité confiné dans une cellule oblongue, est exclusivement chargé de la reproduction. Le roi, sorte de prince consort, est minable, petit, chétif, timide, furtif, toujours caché sous la reine. Cette reine représente la plus monstrueuse hypertrophie abdominable que l’on trouve dans le monde des insectes où cependant la nature n’est pas avare de monstruosités. Elle n’est qu’un gigantesque ventre gonflé d’œufs à en crever, absolument comparable à un boudin blanc d’où émergent à peine une tête et un corselet minuscules, pareils à un bout d’épingle noire fiché dans un saucisson de mie de pain. N'ayant d'insignifiantes petites pattes qu'au corselet noyé dans la graisse, la reine est absolument incapable du moindre mouvement. Elle pond en moyenne un œuf par seconde, c'est-à-dire plus de 86.000 en vingt-quatre heures et de trente millions par an. [...] Sous une voûte ténébreuse, basse et colossale si on la compare à la taille normale de l’insecte, l’emplissant presque tout entière, s’allonge, comme une baleine entourée de crevettes, l’énorme masse grasse, molle, inerte et blanchâtre de l’effroyable idole. Des milliers d’adorateurs la caressent et la lèchent sans arrêt, mais non point sans intérêt, car l’exsudation royale paraît avoir un attrait tel que les petits soldats de la garde ont fort à faire d’empêcher les plus zélés d’emporter quelque morceau de la divine peau afin d’assouvir leur amour ou leur appétit. Aussi les vieilles reines sont-elles cousues de glorieuses cicatrices et semblent rapiécées. »
Maurice Maeterlinck, La vie des termites, 1926.
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