Lectures pour tous : Stefan Hertmans
« La radio est en marche.
Des morts à l’infini sur le sable,
des tremblements de villes anéanties,
fondations, poussière et sang,
Sirènes hurlantes.
Et puis l’actualité boursière.
Passons maintenant au football : triomphe pour le Zulte Waregem.
un petit compte rendu de notre journaliste, sur place,
ça hurle de joie, là-bas, ensuite un peu de publicité,
dégorgement sonore.
La radio se tait.
[...] Mais pourquoi faut-il attendre si longtemps ?
Où est conservé le... la chose avec mon frère à l’intérieur ?
Pourquoi vous ne me donnez pas l’adresse ?
Pourquoi m’interdire ce que tout le monde a le droit de faire :
voir mon petit frère mort ?
Allons, jeune Nouria, allons, ma fille.
[...] Il y a... un petit problème avec ton frère,
tu dois le savoir, c’était dans tous les journaux,
et aussi à la télévision, n’est-ce pas ?
Tu sais que ton frère est en quelque sorte un ennemi public, enfin, pardon, était, pas vrai Nouria ?
Tu sais qu’il n’a pas seulement trahi
l’État de droit, mais aussi ta propre communauté ?
Comment veux-tu réussir à le faire... enterrer ici,
au cimetière du Vieux-Molenbeek,
et pourquoi pas la limousine et le curé en prime ?
Mais ce n’est pas ce que je veux, monsieur de la Police !
Je veux l’emmener ailleurs, je veux qu’il se repose, dans ma tête aussi,
je dois lui faire une place pour qu’il ne vienne plus me hanter chaque jour,
vous comprenez, une âme errante qui ne trouve pas la paix. »
~
Stefan Hertmans, Antigone à Molenbeek, 2017,
traduit du néerlandais par Emmanuelle Tardif, Le Castor Astral (2019)