Retour aux frites, dans la coulisse
[Hommage à Patrick] « La pelle à frites dans la main, je remplis les cornets, racle les bacs mais les alarmes m’arrêtent, je lâche tout, réponds à l’appel. J’appuie, la sonnerie s’arrête, je secoue la panière, j’en plonge une nouvelle et mon soulagement dure quatre secondes, il faut valider, vingt secondes, il faut secouer, trois minutes, il faut sortir les frites. Une équipière me reprend pourquoi tu lâches ta pelle, je veux que tu ne la relâches que quand tu as fait toute ta prod’. Je ne suis plus seule avec mes frites, ils surveillent mon travail, de la façon dont je tiens la pelle au mouvement des panières, je dois enchaîner. Reprendre l’outil, remplir, les cornets partent sitôt prêts, je tasse dans les sachets, dans les boîtes, je coule, les commandes s’alignent. Quelqu’un me dit en fait, il faut que tu plonges dès que tu relèves une panière, tu vois ? tac, tac, tu vois ou ? pourquoi tu le fais pas alors ? [...] De nouvelles alarmes, les commandes internet sur le tableau de bord derrière moi, mes mains sont trop grasses, le bruit me fatigue, je secoue la panière, lâche, reprends, ça sonne, volte-face, la pelle avec le sachet au bout, la panière suspendue au-dessus des cuves, égoutter, secouer doucement, l’huile crépite et vient pincer mes avant-bras, allez c’est bon là, il faut pas y passer des heures non plus, je la vide, je la jette avec les autres. Les clients qui renvoient leurs frites trop froides, envie de plonger leurs mains dans l’huile bouillante, les miennes rouges, le sel griffe. » Claire Baglin, En salle, Minuit 2022.