Manchette 07
« Le caporal Raguse n’était plus militaire depuis longtemps et d’ailleurs n’avait jamais été caporal. C’était tout juste s’il avait fait la guerre. Trop jeune lors du premier conflit mondial, il était déjà presque trop vieux pour le second. Il avait acquis quelques capacités d’infirmier et de muletier en attendant pendant six mois une improbable attaque italienne. Il n’avait fait le coup de feu que pendant l’occupation allemande, et encore, pas souvent contre des hommes. La chambre chaulée où il logea Gerfaut, après l’être allé chercher avec un mulet, s’ornait bizarrement d’un portrait de Staline et d’un autre de Louis Pasteur (ce dernier étant en réalité une photographie de Sacha Guitry interprétant le rôle de Pasteur au cinéma). Gerfaut y resta étendu une semaine. Il y lut l’almanach Vermot, La vie des fourmis de Maeterlinck et l’étonnante autobiographie d’un certain père Bourbaki, missionnaire et aviateur. L’imagination de Gerfaut fut frappée spécialement par les pages où le curé sanguinaire, entre deux tueries d’Alboches, essaie de résoudre le problème que lui pose son fanion. Ce fanion, tricolore et orné du Sacré-Cœur de Jésus, se déchire tout le temps à cause de la vitesse, accroché qu’il est dans les haubans de l’aéroplane du ratichon-guerrier. Le mica fournira une heureuse solution. Le reste du livre, plein de nègres lépreux, est fastidieux. » Le petit bleu de la côte ouest, 1976, Gallimard. [Au cinéma : Trois hommes à abattre, Jacques Deray, 1980]
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