Rami Abou Jamous, journal de bord Gaza 8
« [...] Et c’est à ce moment-là que je découvre cette caricature publiée dans Libération de la dessinatrice Coco, qui montre des gens en train de courir derrière des rats pendant le ramadan, pour manger. Je vais considérer qu’elle veut dénoncer la famine à Gaza. Mais je peux te dire Coco, ce n’est pas du tout professionnel ce que tu as fait.
« Ton dessin, il nous dépeint comme des sauvages qui mangent des rats et qui attendent l’iftar [le repas pour la rupture du jeûne] pour le faire. Mais même si je considère que c’est de l’humour noir, tu ne t’es pas dit qu’il fallait parler de tous les facteurs ? Dans ton dessin, tu n’as pas mis ceux qui sont derrière tout ça, qui empêchent de faire rentrer les sacs de farine et qui sont en train de tuer 2,3 millions de personnes. Si tu ne sais pas ce qui se passe à Gaza, c’est un vrai problème. Si tu le sais, c’est encore pire.
« On n’est pas des sauvages. On est des êtres humains, et nous sommes en train de subir des massacres et des bombardements. On a tout perdu. On a perdu nos enfants, nos parents, nos commerces, notre travail ; on a tout perdu mais on a toujours gardé notre dignité. Et ton dessin touche à notre dignité, il nous humilie.
« À Libération, ils savent très bien ce qui se passe à Gaza. C’est honteux de publier ça. Je ne comprends pas pourquoi il faut toujours nous humilier. Nous humilier quand on nous bombarde. Nous humilier quand on quitte nos maisons pour être déplacés au sud ou ailleurs. Nous humilier quand ils nous donnent à manger par parachutage.
« Ne touchez pas à notre dignité. Personne ne peut nous faire perdre notre dignité. Les Gazaouis ont perdu leur vie pour aller sur les ronds-points et arrêter les camions de livraison d’aide, en sachant qu’ils allaient mourir. Mais ils préfèrent mourir avec les bombes des Israéliens que d’en arriver à manger des rats. Ils savaient qu’ils allaient être visés par l’armée israélienne, et malgré ça, ils préféraient mourir plutôt que de renoncer à leur dignité. » Rami Abou Jamous, Orient XXI , 22 mars.