31 mai 2024
Mitra Farahani, Godard et les autres
"Mitra Farahani sur le(s) dernier(s) film(s) de Jean-Luc Godard".
"Ce qui m’a frappé dans cette scène, c’est qu’il s’agit de la lettre dans laquelle il dit à Golestan que sa question est quelque chose que la police poserait. Et puis Godard dit ce qu’est le cinéma d’une manière que personne d’autre n’a pu faire. C’est extraordinaire, mais ensuite il se ridiculise en relevant son T-shirt et en l’utilisant pour essuyer les miettes de la table. C’est un geste dont je me souviendrai toujours, plus encore que de son regard à la caméra. Il a fait de grands portraits cinématographiques parce qu’il comprenait la signification et l’impact d’un geste. Quelle est la chose qu’il dit à la fin, lorsqu’il veut que la caméra soit éteinte ?
La dernière chose qu’il dit, c’est : « Ça va ? On arrête. » Voulez-vous voir ce que Godard a écrit après avoir vu le film ?
Il a donc regardé le film avant de mourir ? Avant que vous ne le présentiez au Festival du film de Berlin à l’hiver 2022 ?
Oui. Voici une partie de son e-mail. Dans l’objet, il a écrit : « Traîtres ». Et ensuite : « Cher Mitra, il vous a peut-être été difficile de comprendre les deux traîtres. Ou peut-être simplement de faire référence à la signification de ce beau et bon film. Il s’agit de deux joueurs de poker qui ne jouent pas le jeu, mais montrent leurs cartes pour continuer, et de cette façon, chacun trahit son propre environnement. » Godard n’avait pas vu le film avant de le voir en entier. Il n’avait jamais rencontré Golestan et n’avait aucune idée de ce à quoi il ressemblait. Après six ans de travail pour réaliser ce film, il a enfin compris qui était Golestan — en fait, la véritable rencontre entre les deux a commencé lorsque Godard a vu le film.
Sur quoi travaillez-vous actuellement ?
Le dernier film de Godard, Scénarios, pour lequel je suis producteur. Et Scénario impossible, mon projet. J’ai le sentiment que l’épuisement du corps physique [devant la caméra] se reflète dans l’épuisement du travail lui-même. Mon idée est donc de l’aborder avec l’idée qu’il s’agit d’un scénario impossible.
Attendez, de quel scénario parle-t-on ?
Le film que je veux réaliser est un scénario impossible, Impossible Scenario. Je m’intéresse à l’œuvre tardive d’un artiste. Quelque chose qui est produit quand c’est presque impossible parce que le corps lui-même se désintègre. Un mois avant sa mort, il m’a envoyé ceci : « L’impossibilité ne signifie pas l’échec, mais elle loue le pouvoir de ne pas pouvoir faire, de ne pas pouvoir dire et de ne pas pouvoir être, de ne pas pouvoir être identique à soi-même dans le devenir d’un autre, devenir animal, devenir non-humain ». Le projet Impossible Scenario consiste à concevoir un film qui explore le pouvoir de l’impuissance".
Merci Erwan Floch'lay.
Entretien mené par Amy Taubin, de New York. Elle collabore notamment à Film Comment . La traduction intégrale de cet entretien a été publiée ICI .
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