« Hitch Cock Mon Amour » (Joyce Carol Oates)
Dans ce texte datant de 2004, la grande romancière américaine dresse un portrait hilarant d’Alfred Hitchcock. Pour cela, elle se met dans la peau de Tippi Hedren – actrice blonde qui tourna The Birds et Marnie avant de prendre ses distances avec le maître.
« Il était obèse. Un fantasmiste. Un fétichiste. Et un perfectionniste. Un prince. Un crapaud. Un prince né crapaud par erreur. En réalité, il était né britannique. C’était un Britannique très fier. À la longue, un citoyen américain, mais tout de même britannique. Un catholique "fervent". Il voulait se venger. Il avait peur de l’enfer. Il était un génie. Un fœtus géant. Un génie sous la forme d’un fœtus géant. Un petit sourire suffisant. Un appétit. Une bouche béante. Un labyrinthe de viscères. Un anus géant. La tête – chauve – de Humpty Dumpty avant la Chute. Sa tête était remplie de rêves. Remplie de rêves mais de rêves ! Pendant longtemps il avait été puceau. Le puceau dodu à sa maman pendant longtemps. Son visage était un pieux visage. De graisse fondante congelée. Son visage était un drôle de sourire à bajoues. La peau, blanc ventre-de-crapaud. Ses yeux, de crapaud. Ses yeux de garçon timide. Il était très laid. Très laid mais très chic. Le genre à porter un authentique costume british. Sombre, british, chemise de soirée blanche amidonnée, cravate traditionnelle. Le genre à transpirer dans ses vêtements. À se gratter l’entrejambe, Hitch, pris d’un furieux désir. Ah, il était en colère ! Le Prince de la Fureur. Ses yeux, de rapace, pas de garçon timide. Ses yeux aux paupières mi-closes. Des yeux d’hypnotiseur. Des yeux rayons X. Sur le plateau (où règne le silence, par sa volonté) ses yeux étaient ceux de Dieu qui a tout vu, et maintenant se rappelle. Son œil de voyeur, aussi, était l’œil de Dieu. Dans notre nid d’amour (comme il tenait à l’appeler, drôles de manies british), il préférait m’observer par le judas, plutôt qu’en direct, tandis que perdue dans une rêverie de blonde j’ôtais lentement, très lentement, mon soutien-gorge Âge Tendre de-satin-blanc-aux-bonnets-coniques-incrustés-de-dentelle. Il préférait la strangulation. Il préférait les blondes glacées. Il savait comment attirer leur attention. » Joyce Carol Oates, 2004. Traduit de l’anglais par Hélène Prouteau. On peut lire la suite de ce texte sur le site de La règle du jeu qui, vingt ans plus tard, vient d'en republier la traduction (2024). Mais rapidos. On ne sait combien de temps il restera disponible. La version originale, intitulée Fat Man Mon Amour, se trouve dans le recueil High Lonesome : New & Selected Stories, 1966-2006 (Ed. Harper Perennial).