Bronzer idiot (suite)
Ce pourrait être un tract militant du Giec, distribué dans les écoles et les bureaux avec le soutien du ministère de la Santé, pour dissuader les pékins et leurs gnards de cultiver sur les plages leurs carcinomes épidermoïdes. L’ambiance est d’apocalypse, se dit-on, eu égard à la catastrophe climatique en route. Mais pas du tout. Ce conte glacé de Jacques Sternberg date d’une cinquantaine d’années. Mi-fable d’anticipation mi-récit facétieux sous influence de Panique [le groupe créé par Topor, Arrabal et Jodorowsky, dont Sternberg fut proche], ces Vacances contemporaines de La Gueule ouverte (« le journal qui annonce la fin du monde », Fournier, Gébé, Choron) nous rappellent ce qui était déjà une évidence : faut être un peu con pour croire qu’on peut se vautrer impunément au soleil sur le sable, et très bête pour aimer ça.
« Ici, un couple d’estivants entrelacés, désintégrés par la chaleur, soudés en une seule créature mi-homme mi-femme, née crevée, à moitié enlisée dans le sable roussi. Ici, un journal calciné sur un visage qui apparaît fait d’un grand trou lui aussi. Ici, un squelette d’enfant rongé de lumière jouant avec un squelette de petit chien. Ici, un mourant qui demande un chocolat glacé à un camelot agonisant, mais encore capable d’errer le long de la plage pour vendre son dernier article d’ailleurs depuis longtemps en fusion. Ici, un grillé vif qui a eu la force de se traîner jusqu’à la mer et l’eau qui fume à son contact. Une femme, ici, qui trouve assez d’énergie en elle pour se retourner et offrir au soleil son dos encore intact, enfouir son ventre ouvert dans le sable de sa mort future. Ici, un baigneur qui sort de l’eau et se trouve éliminé soudain, pressuré dans la différence de température. Ici, un nouvel arrivé dont les vêtements prennent feu avant qu’il ait eu le temps de s’en défaire. Ici, un maître-baigneur qui conseille à un mort et à sa femme encore à moitié vivante de ne pas s’éloigner du rivage car danger, danger... Ici, ailleurs et partout, des plaies, des trous, des cendres, des foyers fumants, des membres calcinés, des mains détachées et tellement parfaitement ossifiées que les rescapés les ramassent avec les coquillages... Et, toutes les trois heures, des équipes de fonctionnaires ratissent soigneusement le sable de la plage, ils ratissent en même temps les morts, les débris, pendant qu’à l’intérieur des grands hôtels, des fournées d’estivants attendent, impatients, désœuvrés, le moment des vraies vacances : l’heure du bain de soleil. »