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16 décembre 2024

Patrick Brion, vers la sortie

Après un demi-siècle d'excellents services, Patrick Brion quitte la télévision de service public et interrompt donc « Cinéma de minuit », qu’il programmait et présentait depuis sa création. Pour en savoir un peu plus, Allociné l’a interrogé. Je leur emprunte l’entretien, qui intéressera les ceusses pour qui Patrick Brion a beaucoup compté (nous en sommes), les ceusses qui savent que Netflix et les autres plateformes ne sont qu’un pis-aller, et les ceusses pour qui « cinéphile » n’est pas un gros mot. Bye, monsieur Brion.

L’annonce est tombée ce lundi, Patrick Bion, présentateur historique de « Cinéma de minuit », arrêtera d’assurer la voix off et la programmation de l’émission cinéphile, diffusée sur France 3 depuis quarante-huit ans. AlloCiné a contacté l’historien du cinéma afin de recueillir ses impressions et expliquer cette décision.

Commençons par parler cinéma : l’aventure « Cinéma de minuit » se terminera pour vous le 20 décembre prochain avec la diffusion de César de Marcel Pagnol (1936). J’imagine que ce film est votre choix, comme toujours dans l’émission, mais pourquoi celui-ci en particulier ?

Patrick Brion. On termine avec la trilogie marseillaise, car l’une des grandes forces de Pagnol a été d’avoir écrit, réalisé et produit des films qui étaient à la fois de véritables films d’auteur avec un travail sur l’écriture comme vous le savez, et des œuvres populaires. [...] Pagnol était très proche du public. Donc j’avais le choix entre énormément de films, mais celui-ci arrangeait France 3 pour différentes raisons.

On aurait pu s’attendre aussi de votre part à un film de Julien Duvivier.

J’y ai pensé ! C’est amusant, car dans le communiqué de France 3, ils annonçaient « César de Julien Duvivier », ça faisait mauvais effet. C’est mauvais signe... [Ndlr. Le communiqué a été corrigé depuis]. Je pense qu’il y a énormément de films à diffuser donc il faut continuer, et dans le même style, absolument. Ce n’est pas un secret, j’ai 82 ans, j’étais, à France 3, une anomalie. [...] Administrativement, ça commençait à leur poser des problèmes. Pas à moi, mais à eux. Donc...

J’animais l’émission depuis 1975, on a réussi à passer plusieurs centaines de films mais il y a du boulot à faire, d’autant plus que la connaissance du cinéma ancien va en diminuant. Dans ce domaine-là, je suis extrêmement pessimiste. Les livres de cinéma ne se vendent pas. Les DVD marchent moins bien, les ressorties de films en salles, c’est une catastrophe : les compagnies américaines sont en train de geler la diffusion de tous leurs films, aussi bien en DVD qu’à la télé, parce qu’ils n’en ont rien à foutre... Donc c’est très inquiétant.

Sachant qu’il n’existe aucune plateforme dédiée au cinéma de patrimoine.

Aucune.

En tant que responsable cinéma à France 3, vous étiez aussi bien en charge de « Cinéma de minuit » que des films diffusés en prime time. A quel point était-ce difficile de trouver les copies des films à diffuser dans l’émission du soir ?

Les copies diffusées étaient tirées des négatifs originaux. Il y avait deux types de films. Les films français, quand c’étaient de petits producteurs, ils n’avaient pas les moyens de faire les travaux pour tirer la copie. Sans contrat avec France 3, ils ne pouvaient pas financer la copie ni payer les ayants-droits. [...] J’ai eu énormément de problèmes [avec les ayants droits des] films de Duvivier, pour pouvoir rediffuser La Belle Équipe ou des films comme ça. C’était extrêmement difficile.

Dans les compagnies américaines, c’est un petit peu différent. Les films anciens, ils n’en ont rien à faire, ça ne leur rapporte rien, l’idée d’aller chercher un négatif qui prend la poussière, les papiers administratifs sous une autre couche de poussière, ça les ennuie. Il fallait les pousser. Donc quand j’achetais un film de Clint Eastwood pour 20h30 à la Warner, je pouvais en même temps leur demander de faire un effort pour essayer de régler les droits d’auteur et de me procurer une copie convenable d’un film réalisé par William A. Wellman ou Raoul Walsh dans les années trente. C’était une grande chance.

Je me souviens que pour Les Mains d’Orlac, le superbe film de Karl Freund avec Peter Lorre, les droits étaient complètement déchus. La MGM me dit : « Moi, ça ne m’intéresse pas du tout de les renouveler. » J’ai été obligé d’appeler l’ayant-droit français puisque c’est un roman français au départ, et ça s’est réglé comme ça. Aujourd’hui, c’est complètement terminé. A la télé, personne ne le fera jamais, et du côté des distributeurs, on arrive – et ce n’est pas du tout un reproche – à une nouvelle génération de gens qui ne connaissent pas leur catalogue.

Dans ce contexte compliqué, savez-vous comment va continuer « Cinéma de minuit » en 2025 et qui pourrait le présenter après vous ?

Je n’en sais rien. Je leur souhaite bonne chance, parce que c’est normal. Il y a beaucoup de boulot à faire, d’autant qu’en dehors d’Arte, personne ne le fait. Il y a des films à rediffuser. J’ai des enfants et des petits-enfants, je vous garantis qu’il y a du boulot à faire. J’appartiens à la génération où lon a cru bêtement qu’en militant dans les cinémathèques et les ciné-clubs à la fin des années cinquante, qu’en tapant sur la table en disant : « Fritz Lang est un grand cinéaste, Raoul Walsh aussi », c’était gagné. Ça l’a été pendant un certain temps, mais les passeurs ont disparu. Je parle dans les revues. Il y a du travail, il faut reprendre son bâton de pèlerin.

Pour terminer : une copie complète d’un western muet de John Ford a été retrouvée il y a quelques jours au Chili. Vous en avez entendu parler ?

Ah non, je ne savais pas. C’est formidable. J’espère, sans en être sûr, que mes successeurs vont le diffuser ! (Léa Bodin, Allociné, 16/12/2018)

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