Lectures pour tous : Philipp Meyer
« Mais il n’y avait jamais eu de révolution, ni même rien d’approchant, cent cinquante mille personnes avaient perdu leur emploi, parties sans broncher. De toute évidence il y avait des responsables, des hommes de chair et d’os qui avaient pris la décision de mettre la moitié de la vallée au chômage, ils avaient des maisons secondaires à Aspen, envoyaient leurs enfants à Yale, leurs portefeuilles d’actions avaient grimpé quand les usines avaient fermé. Mais, à part l’anecdote fameuse de quelques pasteurs s’introduisant dans une église huppée pour jeter de l’huile de moufette sur le riche officiant, personne n’avait eu le moindre geste protestataire. Il y avait là, dans cette propension à se considérer comme responsable de sa malchance, quelque chose de typiquement américain : une résistance à admettre que l’existence puisse être affectée par des forces sociales, une tendance à ramener les problèmes globaux aux comportements individuels. Négatif peu ragoûtant du rêve américain. En France, se dit-elle, les gens auraient paralysé le pays. Ils auraient empêché les usines de fermer. Mais bien sûr il était hors de question de tenir ce genre de discours en public. » Philipp Meyer, Un arrière-goût de rouille, 2009, traduit de l’anglais par Sarah Gurcel, Denoël [2010].
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