Woody Allen à Barcelone
Woody Allen a tourné un film à Barcelone. Vicky Cristina Barcelona, avec Rebecca Hall et une palanquée de stars des plus sexy - Javier Bardem, Penélope Cruz, Scarlett Johansson, Patricia Clarkson - sort ces jours-ci en Europe après avoir reçu, comme d'habitude, un accueil tiédasse de la part du public américain. Allen a rédigé un Journal de tournage en Espagne, publié là-bas par le New York Times. On ignore encore s'il sera diffusé ici. Sans attendre, j'en ai choisi et traduit quelques morceaux. Les voici.
Javier Bardem, Penélope Cruz, Scarlett Johansson, Woody Allen.
Tournage de Vicky Cristina Barcelona, Barcelone, été 2007.
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5 mars. Rencontré Javier Bardem et Penélope Cruz. Elle est ravissante, beaucoup plus excitante que je ne croyais. Mon pantalon a pris feu pendant l’entretien. Il est clair que Bardem est un de ces génies en herbe qui ont besoin qu’on les prenne en main avec une certaine fermeté.
2 avril. Proposé un rôle à Scarlett Johansson. Avant d’accepter, elle doit faire approuver le script par son agent, puis par sa mère. Après quoi il doit être approuvé par la mère de son agent. Au milieu des négociations elle a changé d’agent, et viré sa mère. Cette fille a du talent, mais elle peut être un peu compliquée. [...]
15 juin. Le tournage a pris sa vitesse de croisière. Tourné une scène d’amour torride entre Scarlett et Javier. Si j’avais quelques années de moins, j’aurais joué le rôle de Javier. Quand j’en ai parlé à Scarlett, elle a fait « Mmm, mmm », l’air bizarre.
20 juin. Barcelone est une ville formidable. Les passants se retournent pour nous regarder travailler. Dieu merci, ils comprennent que je n’ai pas le temps de signer des autographes, ils se contentent d’en demander aux acteurs. Plus tard, j’ai sorti des photos A4 où l’on me voit en train de serrer la main à Spiro Agnew. Quand j’ai voulu les dédicacer, la foule s’était déjà dispersée.
26 juin. Tournage à la Sagrada Familia, le chef-d’œuvre de Gaudi. Je me dis que j’ai beaucoup en commun avec le grand architecte catalan. Nous défions tous les deux les conventions de notre temps. Lui en dessinant ces formes à couper le souffle, moi en portant un bavoir à langouste sous la douche.
30 juin. Les rushes se présentent bien. Même si l’idée de Javier d’ajouter une attaque de Martiens avec des soucoupes volantes et des milliers de figurants costumés n’est pas très bonne, je la tournerai pour lui faire plaisir et la ferai sauter au montage.
15 juillet. Une fois de plus, j’ai dû aider Javier pour le tournage d'une scène d’amour. Son personnage doit se saisir de Penélope Cruz, lui arracher ses vêtements et la traîner brutalement dans la chambre à coucher. Il a beau avoir reçu un Oscar, ce type a besoin qu’on lui apprenne à exprimer la passion. J’ai attrapé Penélope et lui ai arraché ses vêtements d’un seul mouvement. Par malheur elle n’avait pas eu le temps de se changer, et j’ai déchiré une de ses belles robes hors de prix. Sans me démonter, je l’ai fait tomber par terre devant la cheminée et me suis jeté sur elle. Maligne comme tout, elle a roulé sur elle-même une seconde trop tôt, et je me suis cassé une dent sur le carrelage. Mais on a bien travaillé, et je devrais pouvoir manger du solide d’ici la mi-août.
30 juillet. Les rushes sont géniaux. Il est peut-être un peu tôt pour commencer la campagne pour les Oscars. Mais je devrais prendre quelques notes pour mon discours de remerciement, ça me fera gagner du temps pour plus tard.
10 août. Dirigé Javier dans une scène d’émotion. Dû faire une lecture de son texte. Tant qu’il m’imite, il est excellent. Dès qu’il essaie de travailler selon ses propres choix, il est perdu. Il se met à pleurnicher et se demande comment il s’en sortira quand je ne serai plus là pour le diriger. Je lui ai expliqué poliment mais avec fermeté qu’il devra faire son possible sans moi, et essayer de se rappeler mes tuyaux. Je sais que je suis parvenu à le rassurer, car en sortant de sa caravane, j’ai entendu que ses amis et lui riaient aux éclats.
20 août. Fait l’amour à Scarlett et Penélope, histoire de les rendre heureuses. Cette scène à trois m’a donné une grande idée pour le climax du film. J’ai fini par laisser entrer Rebecca [Hall] qui cognait à la porte de la chambre, mais ces lits espagnols ne sont pas assez larges pour quatre personnes. Quand elles nous a rejoints, je me suis retrouvé par terre.
25 août. Fête de fin de tournage. Un peu triste, comme d’habitude. Dansé le slow avec Scarlett. Lui ai brisé un orteil. Pas ma faute. Quand elle m’a repoussé, je lui ai marché sur le pied. Bu le verre d’adieu avec Rebecca. Moment émouvant. Tous les acteurs ont fait une collecte pour m’offrir un stylo à bille. Décidé que le titre du film serait Vicky Cristina Barcelona. Les producteurs ont vu tous les rushes. Apparemment, ils l’adorent, de A à Z. On parle d’organiser la première dans une léproserie. Quand on est au sommet, on se sent un peu seul.
Antoni Gaudi (1852-1926)