Bêtes et gens (extrait)
Pris au dépourvu par la proximité de l'automne et le décalage horaire, frustré par le vacarme automobile et l'absence de bêtes à cornes (dame, quand on troque Allaire pour Schaerbeek...), épuisé par les travaux à finir et ceux qui paieront le cartable des p'tits, ulcéré par le monceau de factures déposées céans à la belle saison (les comptables ne s'accordent-ils pas le moindre repos ?), et hors d'haleine devant la liste des films z'à voir et les piles de livres z'en retard (Pynchon à lui seul, près de mille trois cents pages... n'ont donc que ça à faire ?), on est bien en peine d'alimenter cette colonne sans piquer du nez sur le clavier. Alors on piquera une chronique publiée le 2 septembre 1958, il y a donc cinquante ans jour pour jour, dans un quotidien du Centre de la France. L'auteur, vous l'aurez reconnu à la première incise. Sans son influence, Pierre Desproges n'aurait pas été aussi drôle et Valéry Giscard d'Estaing n'aurait sans doute jamais été digne de l'Académie française, c'est dire. Si vraiment vous ne connaissez rien à rien, repassez dans quelques jours, on aura placé un lien. Vous pourrez acheter ses livres et Robert Laffont sera rudement content. C'est ainsi qu'Allah est grand.
« D’abord, il est entièrement faux (et d’ailleurs je le regrette beaucoup) que j’aie écrit un gros ouvrage sur le homard. C’est même peut-être la plus forte raison pour laquelle on ne peut pas le trouver en librairie. Il est vrai que je me plais toujours à rendre justice au homard, à le saluer quand je le rencontre, à le manger quand on m’en offre, à ne parler de lui qu’avec mesure, en faisant vraiment la part des choses, sans parti pris et sans arrière-pensée.
Mais de là à me parer des plumes de ce décapode, il y a un pas que je ne franchirai jamais. Je ne me parerai jamais des plumes d’un décapode. Il est inutile d'insister.
Il est exact, en revanche, que je prépare une étude sur les coutumes du hornbostel, qui est une des plus charmantes productions de la nature (à l’exception, évidemment, de sa variété australienne). Elle aidera beaucoup les éleveurs. Le lard, les fruits, les fromages secs conviennent très bien au hornbostel pendant l’automne. Les fromages secs entretiennent son lustré. Peu de vin, mais excellent (car il connaît les crus !). Pas de courant d’air au moment des amours. Pas de persil (il rend la vision stérile). Et un exercice modéré. Ainsi traité, sociable au plus haut point, plus intelligent que l’escargot et presque autant que le castor à queue plate, fidèle, généreux, entouré d’amitié, il est capable de la plus jolie fourrure. Elle fait surtout valoir les blondes. Il n’en tire aucune vanité.
Troisièmement: en ce qui concerne les tartans, on consultera avec fruit, avec plaisir, avec enfantillage, l’ouvrage de A. William Semple, qui s’appelle: The Scottish Tartans. On y apprendra, enfin, pourquoi les Écossais qui mettent un jupon bleu et vert ne veulent pas être confondus avec les Écossais qui mettent un jupon vert et bleu. Ce ne sont que blasons, glamoures et cornemuses, Mac Intosh, Mac Farlane et même Mac Kerracher. Les uns avec des queues de renard, les autres avec des boucliers et d'autres avec des chiens de chasse. Les Mac Millan ont des bas à créneaux, les Mac Intosh portent des macfarlanes. Les Mac Farlane ne portent rien du tout. C'est une diversité splendide. Frais en été, chaud en hiver, le jupon écossais séduira toutes les dames et même les écrivains âgés. »
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