Hara-Kiri en librairie
Francis Marmande est émouvant, marrant, il a une bonne orthographe et un rythme élégant, et il sait beaucoup de choses. Il nous est donc indispensable. Quand Catherine Sinet, la rédakchaiffe-en-chef de Siné Hebdo, se décidera-t-elle à lui confier une rubrique Corridas ? (Une des lacunes les plus visibles du seul journal poil-à-gratter-en-couleurs du mercredi.)
Il a écrit ceci, dans Le Monde de demain :
« Hara-Kiri ou comment faire valser l'outrance »
eptembre 1960, dessin de Fred en couverture, premier numéro d'Hara-Kiri, Journal bête et méchant. A la barre, le professeur Choron (Georges Bernier) et François Cavanna. Deux fils de prolos que rien ne rapproche. Si, l'universelle moquerie et le sens du recrutement : Fred, Cabu, Topor, Wolinski, Gébé, et bientôt Reiser, tous dynamiteurs d'images. Chenz, pour la création et le montage photo. Plus, fidèles ou compagnons de route : Siné, Jean-Christophe Averty (artiste de télévision), Francis Blanche, Romain Bouteille (phénomène aussi inspiré qu'Einstein et Coluche ensemble), Coluche, justement. Bitextuels - dessins et écrits : Fournier, Copi, Cavanna. "Alibi antiraciste", c'était écrit dans l'ours : Melvin Van Peebles. Sont-ce eux que le génie portait, ou le journal qui les poussait au sublime ? Œuf et poule. Justement, le journal est plein de poules, "le cul, ça fait vendre".
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« L'éditeur Hoëbeke publie, en 320 pages grand format, un condensé d'Hara-Kiri (1960-1985), sous-titré "Les belles images". Préface de Delfeil de Ton, lequel raconte tous les mercredis dans Siné-Hebdo (gros succès), sa "véritable histoire d'Hara-Kiri Hebdo". Stéphane Mazurier se fait l'historien de l'épopée, procès, interdictions et saisies compris. Epilogue de Michèle Bernier (fille de Choron). Et une avalanche d'images irrésistibles, fiches cuisine, fiches bricolage, art pompier revu et visité, fausses pubs que copie la vraie pub d'aujourd'hui non sans honte, dérision de l'esprit polisson qui tenait lieu d'érotisme. Sans compter les planches de dessins (Berck par Gébé, les saynètes de Copi...). Le tout scandé de textes aussi stricts que rapides de Cavanna.
« Ça n'a l'air de rien, aujourd'hui, tu parles, mais enfin, 1960 en vrac : interdiction du Petit Soldat (Godard), première bombe atomique française, fondation de la revue Tel Quel, Ornette Coleman et Eric Dolphy enregistrent Free Jazz, Pierre Guyotat et JMG Le Clézio entrent dans leur 20e année, visiblement pas par la même porte. En France, interdiction de lire un journal dans un établissement scolaire, aucun établissement qui soit mixte. Ce qui frappe, à feuilleter ces pages, c'est le choc de mémoire (on se souvient de tout) et la magnificence. Pas au sens esthétique, on n'en est tout de même pas là : non, au sens éthique. Splendeur des compositions, du laisser-aller, de la maquette, renouvellement total du trait, du rire. Reiser (1981-1983) prétendait sobrement qu'on tient là "le plus beau journal du monde". En effet.
« Aujourd'hui, pour peu qu'on soit trader ou ruiné, on se dit, personne ne pourrait se permettre ça. Ah ! Parce que vous croyez qu'à l'époque, on pouvait ? "Non, mais on le faisait", répond Delfeil. Pousser plus loin dans l'humour noir, le sexe comique, l'universel irrespect (toutes les religions, toutes les armées, la maladie, la vieillesse et la mort), faire à ce point valser l'outrance, impossible. Et sans jamais se prendre pour des importants ! Ils l'étaient. Seule voie : dessiner, écrire, photographier, picoler, fumer et puis rire.
« Tout le monde aimait Hara-Kiri ? Tu parles, Charles ! Tout le monde détestait : les clergés, les prudents, les ligues de vertu, les parents d'élèves, les élèves moyens, le grand pouvoir central, l'épouse du grand Charles. Donc, le jour où Etchegaray, qui a évidemment fini psychiatre, nous a entraînés au fond du parc du lycée, déballant Hara-Kiri n° 3 (nous avions 15 ans, nous étions trois), même là-bas, on a su ! Ce ne serait plus qu'une question de temps. Encore merci, les gars ! Vous nous avez changé la vie. Et vive le lecteur qui a trouvé le slogan. Ulcéré, éructant, ne sachant où frapper, il avait écrit à Hara-Kiri : "Non seulement vous êtes bêtes, mais en plus, vous êtes bêtes et méchants." Comment mieux dire ? »