Julien Coupat contre le poulet de Limoges
Serge Quadruppani vient de poster sur son blog, Les contrées magnifiques, le texte qui suit. Il l'a donné à Siné Hebdo qui le publie ce matin orné de quelques fioritures. Puisque ce texte est, tel quel, formidable de concision, d'humour et d'intelligence de son temps, et puisque je ne veux pas forcer à acheter SH ceux de mes visiteurs qui ne rechignent pas à descendre le galopin dominical (ou la fillette de blanc, selon les goûts), dans les troquets bretons avec les chasseurs de lapins, je le copie in extenso.
On trouvera d'autres nouvelles de Serge Q sur son site austère, c'est-à-dire ICI. Et dans les bonnes librairies. Il a écrit et traduit, comme on sait, de quoi remplir une brouette de livres d'excellente qualité.
Samedi 11 avril, Chan aura sept ans, et Julien Coupat entrera dans son sixième mois de prison. Pour rien, jusqu'à preuve du contraire.
« Les plus inattentifs l’auront remarqué : l’Etat fait preuve d’un bel acharnement contre les inculpés du 11 novembre 2008, dans l’affaire dite de Tarnac. Le 26 mars, un article du Monde faisait pourtant le point sur le contenu du dossier, près de mille pièces et p.v. : depuis plus d’un an s’était déployé un dispositif digne de la Stasi (caméras dans les appartements et autour de la ferme tarnacoise, intrusions clandestine) et au bout du compte : aucune preuve matérielle. La seule mise sur écoute de l’épicerie gérée par l’un des membres du groupe a coûté 2883,15 euros par mois. La réplique médiatique ne se fait pas attendre : dès le lendemain, le site du Nouvel Observateur annonce que "l’étau se resserre sur les inculpés de Tarnac", au motif qu’on aurait trouvé, tiens donc justement maintenant, un "manuel de fabrication d’explosifs sur l’ordinateur d’Yldune Lévy". Or tout le monde sait que de tels "manuels", plus ou moins sérieux, sont téléchargeables sur internet.
En réalité, le seul élément à charge contre Julien Coupat et sa compagne est leur présence non loin des lieux d’un sabotage de caténaire, dans la nuit où il s’est déroulé. Outre qu’en suivant de manière visible un couple de militants déterminés à échapper à toute surveillance étatique, il n’est pas bien difficile de les amener à être présents où on veut, les bizarreries abondent autour de cette caténaire sabotée en rase campagne par des gens qui ne pouvaient qu’être dotés d’une grande expertise (et la seule connue là-dessus est celle des antinucléaires allemands, qui pratiquent la chose depuis dix ans et ont revendiqué ce sabotage) : total désintérêt des policiers pour la revendication allemande (aux dernières nouvelles, ils ne l’avaient toujours pas demandée au journal qui l’avait reçue - les éventuelles traces qui auraient s’y trouver ne semblant pas les intéresser), relevés effectués seulement là où Julien et Yldune étaient censés avoir opéré (alors que d’autres sabotages avaient eu lieu ailleurs), disparition des enregistrements des communications informatiques et téléphoniques de la SNCF pour la seule tranche horaire du sabotage.
Si Julien Coupat reste en taule malgré la faiblesse du dossier, le sort de ses co-inculpés n’est pas non plus très enviable. Les habitants de Tarnac parmi eux sont interdits de présence là-bas, ce que ne saurait justifier aucune nécessité de l’enquête, les logements, perquisitionnés plusieurs fois, n’étant même pas sous scellés. Comme pour les enfantiliser, on assigne ces trentenaires à résidence chez leurs parents : Benjamin, l’épicier, chez sa mère à Avranche, à des centaines de kilomètres de son épicerie, Yldune chez ses géniteurs, interdite de contacts avec les parents de son compagnon, etc. L’épicerie qu’appréciaient tant les gens du cru, menace faillite, la bibliothèque publique créée par Julien et ses amis est en déshérence et les moutons, entretenus pour l’heure par des voisins, attendent leurs pasteurs. On voudrait désocialiser ces gens, rompre les liens tissés avec la population locale et les pousser à ressembler à l’épouvantail qu’on a fait d’eux, qu’on ne s’y prendrait pas autrement.
Il paraît que le patron des ex-RG de Limoges a déclaré que tant qu’il serait vivant, ils ne retourneraient pas à Tarnac. Comme on est sûr que la résistance aux opérations médiatico-policières du clan au pouvoir n’a pas fini de s’affirmer, mais comme on ne veut de mal à personne, souhaitons donc au chef local des Grandes Oreilles de changer d’avis et de vivre longtemps. »
Serge Quadruppani
Mary Pickford dans My Best Girl (Sam Taylor, 1927)