Les cochons, les virus, les pauvres
Lu ce texte passionnant de Mike Davis sur la pandémie grippale et sa « gestion » par les pays riches soutenus par leur stratégie globale militaro-industrielle et, accessoirement, par leurs laquais du Sud (Mexique compris). Rien à voir bien entendu avec la prose paranoïaque-masochiste de quelques obsédés du complot, qui déversent çà et là, depuis dix jours, leurs billevesées mongoloïdes sur le thème « D'abord c'est même pas vrai, et puis d'ailleurs y a bien moins de morts que sur l'autoroute du Sud, alors vous voyez bien... » Eh, Dugenou, pourquoi tu tousses ? [Traduction française publiée par Contretemps/Syllepse.]
J'en profite pour recommander la lecture de quelques écrits du radical Mike Davis, disponibles en français à petits prix: Le pire des mondes possibles: de l'explosion urbaine au bidonville global, La Découverte-Poche ~ Génocides tropicaux (Catastrophes naturelles et famines coloniales 1870-1900), La Découverte-Poche ~ Le stade Dubaï du capitalisme, Les Prairies ordinaires ~ Petite histoire de la voiture piégée, Zones ~ et quelques autres qui s'empilent sur la cheminée, attendant d'être lus.
Le capitalisme et la grippe porcine
Cette année, les groupes de touristes partis à Cancun pour les vacances de printemps ont ramené dans leurs bagages des souvenirs aussi invisibles qu’inquiétants.
La grippe porcine mexicaine, une chimère génétique probablement née dans la fange fécale d’une porcherie industrielle, menace aujourd’hui le monde d’une fièvre globale. Les premières contagions en Amérique du nord révèlent des taux d’infection évoluant à une vitesse d’ores et déjà supérieure à celle de la dernière souche pandémique officiellement répertoriée, la grippe de Hong Kong en 1968.
Volant la vedette à notre ancien ennemi numéro 1 – le virus H5N1 ou grippe aviaire, aux mutations autrement plus rapides – ce virus porcin constitue une menace d’une magnitude inconnue. S’il semble beaucoup moins meurtrier que ne le fut le SRAS en 2003, en sa qualité de grippe, il s’annonce beaucoup plus durable et beaucoup moins enclin à retourner sagement dans son antre.
Etant donné que le virus saisonnier de la grippe tue, sous sa forme classique, prés d’1 million de personnes chaque année, il est clair qu’une aggravation de la virulence, même modeste, et surtout si associée à une forte incidence, pourrait entraîner un carnage équivalent à celui d’une guerre majeure.
L’une des premières victimes du virus fut cependant la croyance, longtemps prêchée par les cardinaux de l’OMS, que les pandémies pouvaient être facilement endiguées grâce à une réponse rapide des bureaucraties médicales, et ceci indépendamment de la qualité des systèmes de santé locaux.
Depuis les premiers décès constatés à Hong Kong en 1997, l’OMS a promu main dans la main avec la plupart des autorités médicales nationales une stratégie fondée sur l’identification et l’isolement des poussées pandémique dans leurs périmètres d’émergence, assortie d’un déversement sur la population de médicaments anti-viraux et de vaccins (si disponibles).
Il s’est cependant trouvé toute une armée de sceptiques pour contester, à juste titre, cette approche de type contre-insurrectionnel en matière virologique, en faisant notamment valoir que les microbes peuvent à présent voyager à travers le monde (très littéralement dans le cas de la grippe aviaire) beaucoup plus rapidement que l’OMS ou les autorités locales ne sont capables réagir face à une première éruption de la maladie. Les critiques ont aussi pointé l’insuffisance d’une surveillance de premier niveau, souvent inexistante, des interfaces entre maladies animales et maladies humaines.
Mais la mythologie d’une intervention hardie, préemptive (et peu coûteuse) contre la grippe aviaire reste très prisée par les pays riches qui préfèrent, comme les USA et la Grande-Bretagne, investir dans leurs propres lignes Maginot biologiques plutôt qu’accroître massivement l’aide antiépidémique dans les pays du sud. Il faut citer également les mastodontes de l’industrie pharmaceutique qui ont systématiquement combattu les initiatives du Tiers-monde visant à produire, de façon publique et générique, des antiviraux aussi cruciaux que le Tamiflu des laboratoires Roche.
Cela étant, la grippe porcine pourrait faire bientôt la preuve que la « préparation à la pandémie » de l’OMS et des Centres de Prévention et de Contrôle des Maladies (CDC) relève – en l’absence de tout nouvel investissement massif dans les systèmes de surveillance, les infrastructures scientifiques, la réglementation sanitaire, le système de santé, et l’accès global aux médicaments vitaux – d’une gestion pyramidale des risques du même genre que celle des produits financiers dérivés d’AIG ou des fameuses « sécurités » de Bernard Madoff.
Le problème n’est pas tant que le système d’alerte pandémique a échoué, mais plutôt qu’il est inexistant – y compris en Amérique du Nord et en Europe.
On ne sera peut-être pas surpris qu’il ait manqué au Mexique à la fois la capacité et la volonté politique de surveiller les maladies du bétail et leurs impacts sur la santé publique, mais le fait est que la situation est à peine meilleure au nord de la frontière, où la surveillance se perd dans le patchwork juridictionnel de multiples Etats et où les éleveurs industriels traitent les réglementations sanitaires avec le même mépris que leurs travailleurs et leurs animaux.
De même, une décennie de cris d’alarmes poussés par les scientifiques a échoué à opérer le transfert des techniques virologiques de pointe aux pays qui étaient pourtant les plus susceptibles d’être touchés par de nouvelles pandémies. Alors que le Mexique compte des experts mondiaux en pathologie, le pays a du envoyer ses échantillons à un laboratoire situé à Winnipeg au Canada (à peine 3% de la population de la ville de Mexico) afin d’identifier le génome de la souche virale. Conséquence : près d’une semaine de perdue.
Mais, en termes de vitesse de réaction, personne ne fut moins alerte que les fameuses autorités de contrôle sanitaire d’Atlanta. Selon le Washington Post, le CDC n’a entendu parler de l’épidémie que six jours après que le gouvernement mexicain ait pris les premières mesures d’urgence. Le journal ajoutait : « quinze jours après que l’identification de l’épidémie, les autorités sanitaires américaines ignorent toujours très largement ce qui se passe au Mexique. »
[ la suite chez Contretemps, ie ICI ]